Trottoir et mobilités… chacun veut sa part du gâteau (everybody wants a piece of curb)

[CURB] : Retenez bien ces quatre lettres, parce qu’à elles seules, elles concentrent des luttes du quotidien pour les habitants des métropoles, des contraintes constantes pour celles et ceux qui travaillent “en première ligne” comme on a pris l’habitude de le dire (livreurs, chauffeurs de VTC…) et un véritable casse tête politique pour les élu.e.s de toutes les grandes villes, et ce partout dans le monde. Le trottoir – car c’est bien la traduction littérale du mot “curb” – est devenu un espace précieux et convoité, d’autant plus depuis la pandémie liée au Covid.  

Mais soyons plus précis – nous prenons le temps de bien définir les termes dans notre exploration – car en réalité, ça n’est pas du curb dont nous allons parler mais du curbside, c’est-à-dire de la bordure de trottoir. C’est bien cet interstice ou interface qui mélange autant d’enjeux, entre le trottoir – lent, parcouru par les piétons et donnant accès aux rez-de-chaussées – et la rue, rapide, circulée et majoritairement motorisée. C’est bien ici que l’on vient stationner, que l’on livre, que l’on dépose sa trottinette, que l’on arrête un bus ou encore qu’un VTC va déposer ses clients. Les dynamiques liées au partage ont multiplié les usages de cet espace : car-sharing, vélos en libre service, trottinettes, scooters… ont besoin de mètres carrés au sol pour stationner. L’explosion de l’e-commerce n’a quant à lui fait qu’accentuer la demande d’accès à ces espaces. L’installation de bornes de recharge pour véhicules électriques ou encore l’arrivée des véhicules autonomes seront les prochains sujets sur la liste… 

Créer du stationnement pour les scooters, augmenter le prix du parcmètre, réguler les trottinettes en free floating, taxer les livraisons d’Amazon Prime, ou encore libérer de l’espace pour un bus à haut niveau de service… Tant de sujets concrets, réels, actuels qui pourraient être traités par le biais du Curbside Management. L’Institute of Transport Engineers (US) résume en une phrase l’aspect systémique de la dynamique : “Curbside management exists at the nexus of transportation, land use, and economic development”. 

Mais alors, le Curbside Management serait-il le dernier “truc numérique” à la mode, le dernier sauveur après la Smart City et le MaaS ? La technologie peut-elle vraiment aider les villes à gérer leur espace public, comme se questionnait le New York Times à l’été 2022, dans un excellent article sur le sujet (c’est dire si c’est sérieux) ? Si l’on se contente de simplement considérer cette dynamique pour ce qu’elle est, à savoir un ensemble d’outils d’aide à la décision, alors soyons clairs, oui, le curbside management est plus qu’un simple gadget. Les technologies sont suffisamment matures pour offrir des résultats plus que satisfaisants, mais surtout utiles. 

Fait rare dans le domaine de la mobilité : ce sont les Etats-Unis qui sont pionniers ! Ce sont en effet eux les premiers à avoir utilisé le Curbside Management. Et ça n’est pas n’importe quelle ville qui a pris le lead sur le sujet : Seattle, c’est la métropole de la côte ouest, démocrate, progressiste, souvent en avance sur les sujets de mobilité (elle fait notamment partie de la démarche Vision Zéro). Et c’est évidemment pour cette raison que nous avons décidé de nous y rendre en Janvier 2023. 

Mais aussi, évidemment nous faire notre propre idée. Je crois qu’il est d’ailleurs plus que temps de vous restituer une partie de cette exploration. 

Pourquoi le curb ?

Curb, (aussi écrit Kerb), curbside, comment appeler ce petit bout de ville qui révèle tant de complexité, tant d’enjeux, mais aussi tant de solutions ? La définition que nous pouvons lui donner en 2023 aurait-elle été la même avant la pandémie de COVID ? Sera-t-elle la même dans 5 ans après l’avènement du tout électrique et de la livraison “minute” ? Dans le premier volet de notre exploration, nous avons tenté de décrypter ce qui se cache derrière ce fameux curb, quelles sont ses fonctions primaires (d’hier, d’aujourd’hui et de demain) et que signifie “manager le curb”. 

Dessine moi un trottoir

Commençons par le début et tentons de décomposer mot pour mot notre sujet de réflexion : “the Curbside Management”. Si vous demandez à un traducteur ce que signifie curb, il y a fort à parier qu’il vous répondra trottoir. Il n’aura pas tout à fait tort. Mais si vous tapez sidewalk, il vous répondra la même chose. Faut-il le croire ? Considérons que le curb est basiquement le trottoir, sous tous ses aspects, mais nous y reviendrons plus tard. Mais alors, qu’en est il du curbside ? Cela serait plus précisément la bordure de trottoir, c’est-à-dire (lorsqu’elle existe) cette fine bande qui délimite le trottoir – pratiqué par le piéton – de la rue – pratiquée par des véhicules (motorisés ou non). Vous trouverez aussi de temps en temps le terme “kerb”, plutôt utilisé hors Amérique du Nord. Le Curbside Management serait donc la dynamique qui consiste à gérer ou piloter la bordure de trottoir.

Au-delà de définir mot pour mot ce qu’est le curbside, tâchons tout de même d’y poser un concept spatial. Il y a encore quelques années, nous entendions ici et là une définition relativement commune du curbside “il s’agit de l’espace entre la façade d’un bâtiment et la rue”. En réalité, cela est plus complexe. Le curbside, dans la logique du management est un espace d’interactions, d’interfaces, de relations, d’entre deux. C’est une bande, un espace qui sépare le flux de piétons du flux de véhicules motorisés. Cette bande peut selon les cas, selon les territoires, recouvrir plusieurs réalités.

Les visuels que nous avons produits dans l’exploration montrent à quel point la réalité de terrain peut être différente en fonction du contexte urbain. Ils permettent de comprendre la complexité du curbside management et de l’ensemble des thématiques qu’il permet de toucher du doigt. 

Les nombreuses fonctions du curbside

Retenez que le curb peut tout autant répondre à des fonctions de déplacement, que d’accès temporaire, de stationnement, d’animation ou encore de cadre de vie. En lien avec ces différentes fonctions, les zones et équipements sont différents, les acteurs divers, les traitements possibles multiples.

Plusieurs guides ont été réalisés aux Etats Unis entre 2019 et la période post-pandémie. Dans l’exploration, nous avons produit une synthèse de l’état de l’art actuel, adaptée au contexte européen.  

Que signifie manager une bordure de trottoir ?

Le curbside est un espace complexe, au centre de nombreuses interactions. Le curbside management consiste à proposer des stratégies permettant de gérer de la manière la plus efficiente cet espace complexe, en fonction de ses usages. Évidemment, la montée en puissance des outils numériques (qu’ils soient dans le domaine du software ou du hardware) permet de faciliter le curbside management et donc de traiter des problématiques toujours plus complexes et plus multimodales. Notons que le curbside management concerne tout autant l’offre – à savoir les caractéristiques et les règles concernant ce dernier – que la demande – à savoir, l’ensemble des usages, qu’il est possible d’analyser notamment via données issues de caméras, véhicules, de capteurs, de parcmètres etc…

Il y a quelques années, Coord, filiale d’Alphabet (nous y reviendrons) publiait un schéma des quatre étapes du curb management. Ce schéma paraît aujourd’hui incomplet. Nous proposons dans l’exploration une version plus adaptée à la réalité. Nous l’étudions ensuite point par point. 

Des enjeux qui dépassent le numérique

Les objectifs du curbside management peuvent être très larges : meilleure circulation, lutte contre le réchauffement climatique, vitalité commerciale, sécurité, accessibilité ou encore inclusion. La manière de l’utiliser dépend donc des stratégies de mobilité et d’utilisation de l’espace public liées aux programmes politiques de la municipalité.

Plusieurs articles de la presse américaine posent la question de manière très claire “do we maximise revenue or people” ? Une autre série d’articles dans la presse spécialisée évoquait le caractère également très politique des actions concernant le stationnement “Parking is political, no matter the data”. Dans tous les cas de figures, cela montre à quel point, le curbside management ne fonctionnera que s’il est accompagné de décisions politiques ambitieuses et d’outils bien déployés. Nous y revenons en détail dans l’exploration. 

Le curb & les mobilités

Le curbside management touche à un spectre d’acteurs et champs d’actions très large. Volontairement, l’exploration se limite aux enjeux liés à la mobilité des biens et des personnes. Malgré ce filtre, les manières d’aborder le sujet sont nombreuses : par une approche modale, ce que nous envisagions au début. Par une approche fonctionnelle, cela nous est également passé par la tête. Mais au final, nous avons souhaité aborder, de manière non exhaustive, certaines thématiques spécifiques qui nous sont apparues comme particulièrement stratégiques : le stationnement, les loading zones (pour les personnes mais aussi pour les biens) et les nouvelles mobilités (d’un point de vue assez large).

Stationner : un sujet historique mais non résolu

Le stationnement est historiquement la thématique qui a été la plus travaillée par les différentes municipalités et c’est sûrement la thématique qui a le plus été étudiée mais aussi expérimentée sur le terrain. En effet, bien avant que les nouvelles formes de mobilité se multiplient, bien avant que la mobilité partagée se développe, le stationnement était déjà une problématique importante pour les villes. A ce titre, deux points de vue sont très régulièrement mis en avant, tant par les collectivités que par les utilisateurs. 

  • Les places en elles-mêmes : dans quels lieux stratégiques ? quel volume ? qui les gère ? sont-elles payantes ? gratuites ? qui récupère les recettes ? etc… 
  • L’impact de leur volume et de leur localisation sur le trafic. En effet, lorsqu’il existe un écart important entre l’offre et la demande, alors la recherche de stationnement peut occasionner d’importants phénomènes de congestion dans une ville. 

Aux Etats Unis, plusieurs études ont indiqué que “les véhicules à la recherche d’une place de stationnement représentaient près de la moitié du volume de circulation dans certains centres-villes (Shoup, 2006)”. C’est pourquoi des stratégies sont déployées pour permettre aux villes de fournir des places de stationnement là où elles sont nécessaires, tout en réduisant la congestion causée par la recherche de ces dernières.

Afin d’attendre leurs objectifs de taux d’occupation, de nombreuses municipalités américaines ont lancé des politiques de stationnement basées sur la demande [demand based parking] ou [performance based parking management]. Le curbside management est d’autant plus adapté à ce type de politique. Nous y revenons longuement dans l’exploration. 

Quel constat, 10 ans après les premières tentatives ? La technologie aide, mais est loin d’être parfaite. Nous revenons dans l’exploration sur le cas des capteurs de San Francisco ou les caméras de Bellevue.

Les systèmes totalement dynamiques ou temps réel n’existent pas encore, et de toutes manières seraient trop compliqués à gérer pour les utilisateurs. Nous y revenons dans l’exploration avec l’expérience de Boston. 

Alors à quoi servent les stratégies de curbside management associées au stationnement ? Les expérimentations réalisées ont permis de mieux comprendre la réalité des usages, d’améliorer les techniques d’observation et bien souvent de proposer des tarifications et zonages évolutifs dans l’année. Elles ont également permis d’optimiser les méthodes, notamment en croisant plusieurs sources de données (anciennes et plus modernes). Elles ont aussi démontré l’intérêt de numériser son curbside, afin de réfléchir de manière plus globale. C’est un point essentiel. Les évolutions technologiques en cours et à venir pourraient venir préciser les politiques à mener et affiner les analyses. Mais il faudra encore du temps pour que de véritables systèmes dynamiques et réellement en temps réel soient déployés, d’autant plus à l’échelle de villes entières. 

En attendant, au fur et à mesure de l’arrivée de nouvelles formes de mobilités, puis de l’explosion des livraisons (accélérée avec le COVID), la plupart des municipalités engagées dans des démarches de type “parking program” ont commencé à élargir leur spectre d’analyse. C’est dans cette optique que la dynamique curbside management prend tout son sens. Ce changement de focale a démarré dans les années 2017-2019, a été mis en pause durant le COVID, et semble depuis ces deux dernières années connaître une forte accélération.  

Loading zones & marchandise

Le e-commerce a connu une évolution sensible ces dernières années, et la croissance observée n’est, selon les experts, pas prête de marquer le pas. Cela a des conséquences évidentes sur le curbside et ses usages. Parce qu’au-delà du e-commerce (et des colis) qui connaît une forte croissance, il y a déjà beaucoup d’autres types de livraisons : alimentation, restaurant, commerce de détail… qui eux aussi, prennent de plus en plus de place en ville. Chacun avec sa propre temporalité. Alors comment gérer les “loading and unloading zones”, qui selon la définition officielle sont “toute partie de la rue désignée par la ville et signalée par des panneaux officiels pour l’utilisation des véhicules lorsqu’ils sont effectivement engagés dans le chargement ou le déchargement de marchandises ou dans la prise en charge et le déchargement de passagers”. Nous revenons sur ce sujet des temporalités en détail dans l’exploration. 

Il y a de nombreux leviers pour optimiser la gestion des marchandises en ville : les véhicules eux même, la tarification, la localisation, ou encore la temporalité et la durée. Les outils de curbside management aident à recenser les zones qui répondent majoritairement à des besoins de “load/unload” et à les identifier sur la voirie. Dans ce cas, la municipalité peut spécifier délimiter des CVLZ / Truck / Load Zone – dans sa base de données, et les matérialiser sur le terrain par des panneaux spécifiques. Elle peut aussi mettre à jour ces zones en fonction des besoins. Ainsi, le curbside management permet de mettre en place de nombreuses stratégies, répondant aux enjeux et objectifs de chaque municipalité. Il a déjà permis à de nombreuses villes d’améliorer l’accès au curbside.

Le curbside management permet également, lorsque les données sont disponibles, d’analyser les usages, et de faire évoluer ces zones. Avec les évolutions récentes des technologies, il est intéressant de constater qu’il sera très bientôt possible d’affiner encore les dispositifs en place. Non pas avec des armées de capteurs et de caméras offrant des dispositifs en temps réel, permettant de tarifer et suivre les véhicules partout dans la ville… comme certain.e.s le pensent encore. Mais plutôt avec des systèmes permettant de mieux comprendre les besoins et rendre plus efficients les modes de gestion des espaces. C’est notamment sur ces enjeux de compréhension que travaille le Urban Freight Lab de l’Université de Washington. Nous avons rencontré toute l’équipe dans le cadre de l’exploration. 

Il y a donc fort à parier que les CLVZ / Loading/Unloading Zones vont continuer à évoluer, au grès des expérimentations et à s’adapter à des situations particulières, comme ce fut le cas à Seattle pendant le COVID par exemple.

Il s’agira d’inclure dans les réflexions et dans les expérimentations les poids lourds du secteur (ex : Amazon Prime, UPS, Fedex etc…) mais aussi l’ensemble des acteurs locaux, sans oublier, bien évidemment, le secteur de la cyclo-logistique, pas encore très développé aux US, mais en plein boom en Europe. 

Loading zones & passagers

Au delà des marchandises, les “loading zones” sont aussi utilisées pour les passagers. On parle aux Etats Unis des TNC ou encore du ride hailing (on dit VTC en Europe). C’est un sujet stratégique pour les villes car la demande ne fait que croître depuis déjà plusieurs année. Elle atteint des sommets dans des villes comme San Francisco où chaque habitant fait en moyenne 86 trajets par an et en véhicule avec chauffeur (66 à Washington DC, 54 à Boston, 33 à Seattle et 19 à New York).

Cette pratique impacte fortement l’usage du curbside. Et aujourd’hui, en pratique, la situation n’est pas satisfaisante : lorsqu’un espace a été dédié, il est bien souvent peu adapté à la réalité de la demande, et de toute manière, bien souvent, aucun espace n’est dédié aux véhicules. Au final,  les doubles files sont trop souvent observées. 

Si les technologies comme le geofencing peuvent améliorer certaines situations, il est surtout primordial de travailler au plus près des acteurs majeurs afin d’accéder à leurs données d’usage, et de les intégrer dans les recherches. Nous abordons dans notre exploration les démarches PUDO de Boston mais aussi de San Francisco. 

In fine, l’objectif est de trouver un consensus quant à la valeur à donner au curb, qui est parfois antinomique entre une municipalité et un TNC.  N’oublions pas que l’activité des TNC(s) / Ride Hailing companies n’est pas régulée par les autorités municipales aux US. La diplomatie est donc de mise. 

Nouvelles mobilités, nouvelles demandes ?

Seattle mais de manière plus large, les Etats Unis, ont historiquement focalisé leur démarche de Curbside Management sur les usages liés à l’automobile. Mais progressivement, en parallèle de l’évolution de la demande des habitants, cette dynamique évolue. Les municipalités, mettent à contribution leurs outils de curbside management pour prioriser certaines thématiques :

  • le déploiement d’infrastructures cyclables, que ce soit les aménagements ou le stationnement,
  • la promotion des offres de micro mobilité partagées (ex : trottinettes, VLS…),
  • l’accélération du déploiement de la logistique urbaine, notamment autour de la cyclo logistique,
  • l’électrification du parc automobile, notamment via le déploiement de bornes de recharge.

Les municipalités tentent également d’accompagner certaines pratiques telles que les food-trucks afin que leur installation et leurs pratiques soient mieux planifiées et encadrées. C’est une vision beaucoup plus multimodale et multi-usages que les municipalités tentent de pousser.

Et la tech la dedans ?

Le curbside management est avant tout une question de stratégie, comme nous l’avons très largement évoqué. Avant de décider d’utiliser tel ou tel outil, une municipalité doit clarifier ses objectifs, mais aussi les moyens qu’elle est capable d’investir. A titre d’exemple, dans une ville comme Seattle, l’équipe dédiée au Curb Management est composée de 28 ETP dont cinq gèrent la stratégie même de Curb Management. Ils décident de l’allocation du curb en fonction des usages, communiquent à l’équipe “parking” les éléments à mettre à jour sur le terrain, conçoivent la signalétique à installer sur l’espace public, répondent aux demandent de nouvelles signalétiques et enfin, examinent les possibilités d’évolution du curbside, aux vues de la stratégie de la SDOT. Mary Catherine Snyder, cheffe d’équipe au SDOT l’évoque dans notre documentaire vidéo. 

Au-delà des équipes mobilisées en interne, le second aspect à appréhender avant de se lancer dans une telle démarche, c’est la temporalité. Mettre en place une stratégie curbside management doit s’envisager sur le temps long. La ville de Seattle, rappelons-le, a commencé son projet il y a plus de 10 ans. Un temps qui assure la garantie d’un bon démarrage, puis évidemment, d’une mise à jour régulière, nécessaire au succès d’un tel dispositif.  

Pour accompagner les équipes, sur le long terme, de plus en plus d’outils sont développés. Certains sont des évolutions de produits SIG existants, qui ont pour l’occasion, subi de vrais rafraîchissements ; d’autres sont des spin-off d’outils bien implantés sur le marché, quand les derniers sont des produits développés spécifiquement pour le curbside management. Ils n’ont pas le même rôle, la même maturité, ni les mêmes fonctions. Mais ils ont un point commun : un besoin en données. 

Les données : toujours essentielles

Le curbside management montre encore et toujours le rôle essentiel des données. Ici, la particularité est la grande variété des datas à traiter et les nombreuses sources possibles. Dans notre exploration complète, nous revenons longuement sur les différentes étapes nécessaires pour constituer une base de données utilisable et les sources possibles.

Pour collecter et saisir les données, et créer “un inventaire”, il existe de nombreux softwares, mais aussi du matériel créé spécifiquement. Nous évoquons également le rôle des vues immersives pour reconnaitre les panneaux, un sujet particulièrement intéressant pour le curb. Les technologies de LIDAR (dans notre exploration, nous avons interviewé le CTO de Jakarto à Montréal) sont désormais matures,

Pour suivre les usages, plusieurs sources sont utilisables. Les capteurs… nous avons longuement échangé avec les responsables de SFPark à San Francisco, avec les responsables du projet pilote de Bellevue ou encore avec le Urban Freight Lab et tous sont convaincus que cette technologie est plutôt dépassée, sauf à l’utiliser sur des zones assez réduites.

Les caméras sont par contre leur grande entrée dans le monde du curbside management. Des acteurs comme Vade, Automotus etc… proposent de la reconnaissance de plaques, de véhicules, et proposent des outils basés sur des algos et une IA de plus en plus sophistiqués. Il s’agit ensuite pour les municipalités de traiter la sensibilité “sociétale” de ce type d’équipements. Et comme l’évoquait avec nous Mary Catherine Snyder, cela n’est pas si évident. Enfin, il est également possible d’utiliser les données issues des véhicules. Données GPS simples ou encore données plus détaillées issues des systèmes de certains constructeurs. Dans le domaine, il est intéressant de suivre les avancées réalisées par Amazon sur son véhicule produit par Rivian. Nous avons tourné une vidéo sur le sujet.

In fine, digitaliser son curb fait évidemment appel à des données “en dur”, qu’il s’agit de créer, puis d’actualiser. C’est important, car croisées avec des données dynamiques issues des capteurs, caméras et GPS, elles permettent de suivre, de réguler et éventuellement de monétiser certains usages. Encore faut-il que ces données soient “lisibles par des machines”…

Le rôle primordial des standards

Alors que les standards concernant les transports publics, ou encore la mobilité partagée sont relativement simples à générer, parce qu’ils décrivent des offres en général assez similaires, peu importe les territoires concernés, ceux concernant le curbside sont complexes. En effet, la multitude de manières d’utiliser de découper et de représenter le curbside rend compliquée la création d’un standard pour le représenter. A l’échelle mondiale, deux initiatives majeures ont tenté de relever le défi : CurbLR et CDS.

CurbLR, est une spécification développée par SharedStreets, a été la première norme de trottoir à être publiée, dans les années pré-covid. Il a été créé pour tenter de répondre à  la structure complexe des réglementations sur les trottoirs dans une conception robuste, axée sur les priorités, avec des emplacements basés sur le système de référencement de SharedStreets. CurbLR a été utilisé sur différents projets pilotes à Montréal (notamment avec la Fabrique des Mobilités) ainsi que par CurbIQ (IBI) comme structure de données pour tous ses inventaires numériques de bordures de trottoirs ainsi que pour l’arrière-plan de sa plateforme. Malheureusement, SharedStreets n’existe plus, et le standard CurbLR ne semble plus évoluer depuis 2020. Nous détaillons les composantes de CurbLR dans notre exploration. 

CDS est un un standard basé sur des API (il y en a trois) : il n’est pas seulement un stockage de données, mais plutôt un format d’échange. Il a donc besoin de “traductions” vers et à partir des systèmes opérationnels des cibles (municipalités, acteurs privés…), qui couvre l’offre au droit du curbside, mais aussi la demande. Il a initialement  été créé avec la volonté de piloter le curbside de manière dynamique. Il s’agit notamment de définir explicitement les événements uniques et les mesures spécifiques à agréger, qui s’est largement inspiré de CurbLR pour ce qui concerne l’offre y compris dans l’utilisation du système de référencement SharedStreets. C’est en quelque sorte une version augmentée et dynamique de CurbLR. Selon OMF, aujourd’hui, une douzaine de municipalités utilisent CDS, et plus d’une quinzaine de privés. Nous détaillons les composantes de CurbLR dans notre exploration. 

Les outils : entre effervescence et efficience

Comme nous l’avons déjà évoqué, il est possible de générer de nombreuses données concernant le curbside. Mais il est ensuite essentiel de disposer des outils adaptés pour pouvoir les exploiter. C’est pourquoi le monde de la tech s’intéresse au curbside management. Parfois en faisant évoluer des produits existants. Parfois en se spécialisant dans une thématique du curbside. Ou encore en investissant le curbside par le hardware. 

Avant la pandémie de COVID déjà, les startups frémissaient concernant le curbside management. D’un côté, il y avait l’important travail réalisé par SharedStreets via le standard CurbLR dès 2018, utilisé par certains projets pilotes à l’époque. Mais depuis fin 2020, ce projet est au point mort. De l’autre, la forte présence, du moins dans les médias, de Coord (spin off de) Sidewalk Labs. Cette entreprise faisait initialement partie d’Alphabet Inc, la société mère de Google, avant d’être absorbée par Google en 2021 après le départ du fondateur, M. Doctoroff.

Après cette période que la pandémie a rendu instable, un certain nombre d’entreprises se sont lancées, chacune avec leurs spécificités, et bien souvent au gré des opportunités et expérimentations. Nous avons échangé avec une grande partie d’entre elles. Certaines ont accepté d’être interviewées, les vidéos sont disponibles dans l’exploration. 

Pourquoi il faut s’intéresser au Curb ?

Cela fait maintenant 20 minutes que vous avez mis le nez dans ce sujet passionnant qu’est le curbside management. D’une part j’espère que cela vous aura donné l’envie d’aller plus loin et de l’accéder à l’exploration dans son ensemble (une étude de 150 pages et un documentaire vidéo sur Seattle de 56 minutes).

J’espère aussi et surtout que cela vous aura convaincu que c’est un sujet majeur. Pour améliorer notre gestion du stationnement d’une part. C’est un levier absolument fondamental de nos politiques de mobilité, mais un levier que nous avons du mal à réellement activer en ce qui concerne le stationnement sur voirie. Pour affronter les enjeux concernant la livraison en ville. Que ce soit pour promouvoir de nouvelles formes de livraison plus vertueuses (ex : cyclo logistique) ou pour réguler les acteurs actuels (qui voulait taxer Amazon Prime déjà ?). Pour mieux gérer l’accès aux véhicules avec chauffeur, bien souvent un peu laissés pour compte en termes d’infrastructures alors que les robots-taxis arrivent à plus grands pas qu’on ne le croit. 

Et évidemment, comment ne pas penser aux ZFE ou peu importe comme on les appelle. Les contraintes pour accéder et pour stationner dans les métropoles seront, peu importe quand et peu importe comment, de toutes manières de plus en plus importantes. Il est primordial de s’armer pour affronter ces dynamiques. 

Le curbside management est d’abord une philosophie, qui vise à optimiser un espace contraint et flexible qu’est la bordure de trottoir. C’est ensuite une dynamique, qui consiste à utiliser le numérique pour être plus précis, plus efficace, plus cohérent. Ce mouvement né aux Etats Unis a toute sa place en Europe s’il est mis au service de stratégies bien ficelées. C’est à ce moment là qu’il sera une merveilleuse aide à la décision mais aussi à la gestion quotidienne. On ne parle pas de Smart City, mais simplement d’une gestion (voulue) harmonieuse d’un quotidien contraint. 

J’en profite pour remercier mille fois tout.e.s celles et ceux qui m’ont aidé à produire mon exploration. Ce travail aurait été impossible sans elles.eux. 

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