En Espagne, l’autocar est un des modes de transports collectifs les plus utilisés, que ce soit à l’échelle provinciale, ou pour traverser le pays tout entier. C’est culturel, et cela s’explique historiquement. La Communauté Autonome du Pays Basque (Euskadi) ne déroge pas à la règle. Ces dernières années, l’autocar y connaît un grand engouement, impulsé notamment par une politique public forte et une offre pléthorique. Pour accompagner cette dynamique puissante, les principales villes basques ont fait sortir de terre des gares routières très ambitieuses. J’ai décidé de visiter celles des trois capitales : Vitoria-Gasteiz, San Sebastian, ainsi que Bilbao, par laquelle j’ai débuté mon exploration. Imaginée dès 2012 par les élus municipaux de la ville la plus peuplée d’Euskadi, “Bilbao Intermodal” a mis sept ans à sortir de terre, parce qu’entre le projet de base et la version actuelle, il s’en est passé des choses ! Mais l’attente en valait la peine, parce que c’est je crois l’une des gares routières les plus aboutie d’Europe. Mon récit.
Une ambition forte pour Bilbao et sa province
“Intermodal Bilbao”, c’est son petit nom, est sortie de terre fin 2019, et a été inaugurée à la fin du mois de Novembre de la même année… à peine quelques mois avant le premier confinement… Un comble pour cette infrastructure qui était attendue tout autant par les habitants que par les élu.e.s…Parce que le projet Intermodal est d’abord un projet municipal, imaginé par la Mairie de Bilbao. Approuvé et attribué en 2016, il a été imaginé dès 2012 par l’exécutif de l’époque. Fait classique, entre le projet initial, et celui qui est sorti de terre, les modalités ont pas mal évolué. De gare routière, le projet est passé à système intermodal. D’infrastructure de transport, le projet est passé à projet urbain et commercial. Ce qui a pesé dans la balance, c’est la capacité à créer une zone d’expansion de 5800 mètres carrés, libérée par le caractère souterrain de l’infrastructure. Finalement, Intermodal s’inscrit dans un projet plus global du quartier San Mames.
Progressivement, le projet a donc pris de l’épaisseur. Son financement est rapidement devenu un sujet important (on parlait de 40M€ d‘investissement). C’est pour cette raison qu’une concession d’exploitation de 40 ans a été signée avec un groupement d’entreprises, qui ont assuré la construction de l’édifice (autour d’Amenabar, rachetée depuis par Azora). C’est aussi pour cette raison que la gare routière a été associée à un bâtiment en surface abritant sur l’une de ses ailes une résidence universitaire et sur l’autre, un hôtel avec 168 chambres. Il dispose également de 5800 m2 de surfaces commerciales à louer.
La nouvelle place générée par la mise en souterrain de la gare a quant à elle été ouverte au public en février 2021. Ce fut un énorme projet urbain et de génie civil, parce que pour faire sortir les 30 quais, 500 places de parking et les 4 sous-sols de l’édifice, il a d’abord fallu composer avec l’ancien dispositif, appelé à l’époque Termibus. Ainsi, un système provisoire, déployé à proximité, et exploité durant les deux ans de travaux, a fonctionné en parallèle de la construction du nouveau dispositif. Pas une paille !
Vous avez dit “intermodal”
Bref… Intermodal est donc d’abord une gare routière souterraine. Mais comme son nom l’indique, elle est fondamentalement et intrinsèquement intermodale. Elle fait partie du pôle d’échanges de San Mames, et permet donc de relier les autocars aux Cercanias de Renfe, au Métro de Bilbao (le tout en sous-terrain), ainsi qu’au tramway et aux bus urbains, en surface. Un service d’autocars vers l’aéroport assure également des liaisons toutes les 15 minutes. J’allais oublier : des taxis desservent l’infrastructure, un parking souterrain de 500 places permet un rabattement de la voiture aux TC, et enfin, des vélos en libre service sont disponibles à proximité immédiate.
Dans la réalité, lorsque l’on scrute la répartition modale au droit de la gare routière, 30% des voyageurs arrivent à pied, et qui n’est pas surprenant dans une ville aux plus de 60% de part modale piéton. Plus de 60% arrivent en transports publics (toutes offres confondues). Il ne reste pas grand-chose à la voiture et aux taxis !
Une gare routière “mieux qu’un aéroport”.
Le responsable de la gare l’a évoqué clairement avec moi : “cette gare a été pensée comme un aéroport, en ne gardant que les bons côtés de ce dernier”. On trouve effectivement quelques points communs avec le monde aéroportuaire, que ce soit dans l’accès “au terminal”, les services offerts, les guichets de vente, la gestion des flux et finalement même la gestion des quais pour les autocars. Si je prends ce qui m’a marqué, niveau par niveau.
Le niveau -1, c’est celui qui est appelé la mezzanine, on est donc en souterrain, avec la place au-dessus de notre tête, et les quais sous nos pieds. Une grande surface vitrée surplombe la zone de circulation et de stationnement des cars. Casiers automatiques, cafétéria, distributeurs de titres de transports, et guichets pour chaque compagnie, ouverts de 8h00 à 20h00, c’est vraiment là que se trouvent les services (700m2). C’est aussi depuis ce niveau que l’on accède au métro et au train, par un accès fluide et bien calibré. C’est ici également que se fait l’accès aux taxis. Un interphone permet d’appeler ces derniers, qui se trouvent en surface. Lorsqu’ils arrivent en sous-sol, dans espace qui leur est dédié (3 véhicules max), un voyant s’allume, et la porte se déverrouille, laissant les passagers accéder aux véhicules.
Enfin, le niveau -1, c’est surtout, celui ou se trouvent les portiques pour accéder au niveau inférieur.
Au niveau -2, c’est d’abord ce que l’on appelle la capsule. C’est un espace central, vitré, accessible au maximum 30 minutes avant le départ du bus, via un code QR imprimé sur le billet lui-même ou avec la carte Barik. Il faut donc passer les portiques pour y accéder. Cet espace est isolé des quais par des portes coulissantes qui ne s’ouvrent qu’un peu avant le départ des autocars. Cela permet de limiter la fumée et le bruit.
La capsule donne accès à 27 quais de départs/arrivées, situés tout autour. A ce même niveau, il existe deux autres quais bien spécifiques : le 28 et le 29, les seuls à être accessibles à partir de 23h30. L’accès à une autre capsule, plus petite cette fois-ci, se fait directement depuis la place (via escalier et ascenseur), en validant son titre de transport. Cette capsule offre des assises, un distributeur de boissons ou encore de quoi charger son portable. Elle est en permanence surveillée par le centre de contrôle de la gare.
Enfin, aux niveaux -3 et -4, il y a 500 places de parking pour les automobilistes (pas si nombreux) ainsi qu’une zone de régulation pour les autocars, utilisée par les véhicules dont le stationnement à quai dépasserait 20 minutes.
Cette belle machine fonctionne aussi grâce au travail réalisé par les agents du centre de contrôle. Il assure la sécurité des lieux, avec 178 caméras déployées dans le bâtiment. Il assure en permanence la gestion des flux de passagers. Il sait en temps réel combien de personnes sont dans la capsule principale, ou celle de nuit. Il assure aussi l’attribution des quais lorsque cela sort du “cadre général”. Il gère la régulation des autocars aux niveaux -3 et -4. Enfin, grâce à l’ensemble des outils numériques utilisés, il assure un suivi de la fréquentation de la gare, de manière très détaillée. Le centre de contrôle est donc un outil essentiel au bon fonctionnement quotidien de la gare routière, mais aussi pour l’évolution de cette dernière.
Et les autocars dans tout cela ?
L’infrastructure c’est une chose, mais cette gare routière fait-elle bien le job avec son principal allié, les autocars ? En Biscaye, comme en Euskadi et dans toute l’Espagne, l’autocar est, je l’ai déjà évoqué, très plébiscité. Cela se voit donc bien sûr au sein de la gare routière. On y retrouve basiquement trois types de trafics. Des lignes interurbaines publiques de Biscaye, opérées sous le nom de Bizkaibus. Du trafic national et international, via des autocaristes privés, comme Alsa. Et enfin, des interurbains de moyenne distance, assurant les liaisons avec les autres provinces.
Ces nombreux autocars, ils accèdent très facilement à la gare routière, puisque la localisation au sud-ouest de la ville offre une connexion immédiate à l’autoroute et à la nationale. Une fois sur place, un écran permet aux chauffeurs de valider les informations prédéfinies par le gestionnaire de la gare (via un système planifié associé à une lecture des plaques), et spécifier le nombre de passagers à bord (sauf exception). Pourquoi j’aborde ce sujet de l’accès ? Parce qu’il est fondamental dans la gestion des véhicules, des flux, et par là même, dans le modèle économique de la gare routière. En effet, chaque autocar qui souhaite accéder à la gare routière doit s’acquitter d’un droit d’accès de 0,55 centimes d’euros, ainsi que 0,22 centimes d’euros par passager. Pour un autocar de 70 places plein, cela peut représenter 15€ de recettes pour la gare. Et des autocars, il y en a beaucoup : jusqu’à 1200 par jour, ce qui représente 19.000 voyageurs au quotidien, et jusqu’à 25.000 pour certains jours de la semaine. In fine, on parle de 10 millions d’utilisateurs dont 9 millions de voyageurs chaque année. Alors les caméras et les écrans d’accès, ça compte !
Dans ce grand orchestre, il y a un acteur qui compte particulièrement, c’est Bizkaibus. C’est le service de transport public interurbain de Biscaye. Il appartient et est géré par la Diputación Foral de Bizkaia, sous la coordination du Consortium de Transporte de Bizkaia (CTB). Ce sont 350 cars qui parcourent le territoire, un budget annuel de 132 M€, pour 27 millions de voyages par an. C’est massif ! Au sein de la gare routière, Bizkaibus utilise 10 quais qui lui sont spécifiquement attribués, pour gérer les 400 autocars (sur 1000 au total) qui desservent la gare. Il faut dire qu’une quinzaine de ses lignes utilisent Bilbao Intermodal, les principales réalisant leur origine et destination dans cette gare routière. In fine, ce sont 5 à 7000 voyageurs par jour que génère l’opérateur public.
Alors, vous l’aurez compris, Bilbao Intermodal, c’est une machine assez bluffante. D’abord parce que cette gare routière a été très bien pensée, en reprenant les meilleurs ingrédients du domaine aéroportuaire (et surtout, en laissant de côté les mauvais). Aussi parce qu’elle s’insère dans un quartier et un tissu urbain qui lui assurent un succès évident. Et puis parce qu’elle est sincèrement intermodale, et aussi pensée dans cette logique. Avec des pointes à plus de 25 000 voyageurs par jour à certaines périodes, c’est déjà un succès en termes de fréquentation. Il lui faut donc désormais bien vieillir et se tenir prête à accueillir encore plus de trafic avec la même qualité de service. C’est tout le mal qu’on lui souhaite.