Amérique : Montréal et le vélo, vers la première place américaine ?

Lorsque l’on évoque les villes les plus bike friendly dans le monde, il faut bien avouer que le podium est trusté par des villes européennes. En général plutôt denses, dotées d’aménagements cyclables conséquents, bénéficiant d’importants investissements publics, elles possèdent un terreau fertile pour favoriser la pratique. Pour autant, en changeant de continent, force est de constater que de nombreuses métropoles font aussi des efforts, et d’autant plus depuis la pandémie, pour encourager la pratique du vélo. Dans ma tête, Montréal en fait partie. Est-ce parce que j’ai toujours entendu qu’on y déneigeait les pistes cyclables en hiver ? Peu importe, j’ai profité d’une semaine sur place pour vérifier si mon intuition était bonne. Je vous relate ici un parcours parfois déroutant, fait de nombreuses rencontres, de découvertes farfelues, et de très bons moment passés à pédaler.

Bixi, si fidèle compagnon

A Montréal, avant de trouver une piste cyclable – elles sont encore peu nombreuses – on tombe d’abord sur une station Bixi, le vélo en libre service made in Montréal (PBSC est effectivement une entreprise Montréalaise). Déployé en 2009, Bixi est d’abord et avant tout un vélo facile :

  • à trouver : environ 2400 Bixi électriques, 7000 Bixi classiques et près de 800 stations,
  • à déverrouiller et à payer, y compris sans contact, 
  • à comprendre : les conditions d’utilisation sont bien expliquées,
  • à utiliser : robuste, il s’adapte vraiment à tous les revêtements (un gros sujet à Montréal). Ca sera donc plutôt à vous de vous acheter un casque, au cas ou et parce ce qu’il est obligatoire pour emprunter une version électrique. 

Il est aussi économique à utiliser : l’abonnement à 18$ canadiens est une évidence, même lors d’un séjour d’une semaine, et le coût en mode « pay as you go » reste très honnête. Il faudra juste se souvenir que la version électrique engendre un léger surcout. Mais en échange, elle vous permettra de monter le Mont-Royal et les quelques collines entre le port et le plateau sans transpirer !

Il est enfin robuste et adaptable. Le vélo sait prendre les chocs, et sa conception lui permet de résister aux routes dans un état globalement lamentable (pour des raisons assez sombres – les locaux comprendront). Les stations, de leur coté, savent s’adapter aux circonstances. Parce que grande particularité du système, dès le 15 novembre, à la fin de la saison, les Bixi (et leurs stations) sont retirés progressivement du réseau, pour être chouchoutés et remis en état pour le redémarrage de la saison, au retour des beaux jours ! Imaginez le chantier !

Au final, Bixi est surtout un beau succès. Sa fréquentation est en constante augmentation, et il faut vraiment partie du système de transports publics pour les habitants. Le gestionnaire vient d’annoncer des chiffres records pour Mai 2022 : “On peut dire qu’on a eu un mois de mai spectaculaire!  On était habitués à des journées de 21 000 déplacements, en moyenne. On vient d’en voir passer à plus de 50 000 déplacements” (soit des vélos empruntés en moyenne environ 5 fois chaque jour). Je ne peux pas résister à vous montrer les versions artistiques sorties pour les 50 millions d’emprunts ! 

 

Le panonceau, un pot’o malin 

VLS ? checked ! Mais qu’en est il du coté du stationnement? Après tout, tous les montréalais ne sont pas utilisateurs quotidiens du Bixi. Soyons transparents, là, notre enthousiasme s’est vu légèrement douché : peu ou pas de parkings sécurisés, des stationnements absents au droit des pôles d’échanges, et peu d’espace réservé dans les derniers condos sortis de terre ! Frustrant…

Heureusement que l’ingéniosité des agents de « Montréal Stationnement » (devenu depuis L’Agence de la Mobilité Durable) relève le niveau. Ces derniers ont su créer une innovation de bon sens, en utilisant les poteaux d’information concernant le stationnement sur rue (on les appelle les panonceaux) pour permettre aux vélos de s’y attacher simplement. Facilement identifiables, connus de tous, simples à utiliser, ils sont surtout très nombreux : il y en a plusieurs milliers dans les rues de Montréal.

D’ailleurs, un dispositif cousin a également été déployé en complément, lorsque les panonceaux ne sont pas disponibles.

Du REV à la réalité 

Evidemment, le stationnement vélo et le VLS ne font pas une politique vélo à eux seuls. Aux vues de la culture automobile encore très présente, des vitesses pratiquées encore élevées à Montréal, il est également primordial de développer des itinéraires cyclables en site propre pour les cyclistes. C’est ce à quoi s’emploie la municipalité. Soyons honnêtes, le nombre de kilomètres de pistes est encore faible et les pistes historiques ont réellement besoin d’un relifting. Mais les derniers aménagements réalisés sont encourageants, notamment le REV (Réseau Express Vélo).

Ce réseau structurant, déployé sur des avenues « artérielles » (comme disent les québécois), répond à des enjeux de rapidité, de confort et de sécurité. Pour le moment, ce dernier est embryonnaire (moins de 20 km), mais les ambitions sont fortes : près de 180 km ont été votés par la municipalité. 

Entre le marché et l’assiette, des milliers de « paniers » 

Ce qui joue un rôle majeur dans la « culture vélo » d’une métropole, c’est aussi la présence d’acteurs de la cyclo logistique. A Montréal, ils sont plusieurs à s’être lancés (la Roule Libre est surement l’opérateur le plus connu). Mais c’est un acteur un peu particulier qui m’a tapé dans l’oeil. Il s’agit de Paniers Québécois. Au delà d’être particulièrement sympas, les français qui ont lancé cette boîte sont surtout malins. Ils ont profité de la période de pandémie pour s’engouffrer dans un besoin des plus basiques : livrer, dans un périmètre de proximité, des denrées vendues sur le marché. Et pas n’importe quel marché : il s’agit du célèbre marché Jean Talon. Et c’est en cela que la démarche est particulièrement intéressante : c’est le marché lui même qui sert de hub de distribution et c’est depuis le local alloué aux équipes de “paniers” que sont dispatchées toutes les marchandises : avec leur propre vélo électrique (équipé d’une imposante remorque), en sous traitance via l’entreprise de cyclologistique « Roue Libre » ou avec des petits camions électriques.

Une idée maline, qui met en avant la proximité, les produits du marché, et une livraison décarbonée. Un projet qui est financé en partie par une subvention attribuée au niveau national, bien utile pour aider cette boîte de 20 salariés (et donc plus de 1 million de dollars de masse salariale au minimum) à aller plus loin. C’est d’ailleurs ce qui est prévu dans les mois à venir : ouvrir des dispositifs similaires dans d’autres marchés, dont par exemple celui de Atwater.

Cette logique de maillage, la ville cherche aussi à la promouvoir par la création de hubs de cyclologistique, financée par le dispositif Colibri (piloté par Coop Carbonne). 

La remorque, bien plus qu’un symbole 

Avoir la capacité d’emporter des marchandises, c’est un sujet absolument majeur. Parce que bien souvent, c’est un des freins à la pratique quotidienne évoquée par les citoyens : « je ne peux pas utiliser un vélo, j’ai besoin de pouvoir emporter mes courses, mes affaires… ». C’est pourquoi, l’OBNL Solon a lancé le projet Locomobile. Ce dernier fait partie d’une démarche plus globale baptisée Locomotion. Son objectif est d’accompagner la dé-motorisation des ménages, notamment par le partage de voitures, de vélos, ou encore de remorques…

Les projets ne manquent pas à Montréal, pour faire en sorte que le vélo prenne encore plus sa place. Mais si la municipalité souhaite que cela fonctionne, il faudra absolument qu’elle adapte sa stratégie à une réalité : Montréal est, en terme de mobilité, une ville avant tout américaine. Ainsi, traverser des 2×4 voies dans Downtown pour rejoindre une piste cyclable est souvent un cassé-tête. S’arrêter à tous les croisements de rue (merci le plan en damier) peut s’avérer pénible (et transpirant). Se faire frôler par des V8 vrombissants a tendance, à la longue à fatiguer. Avoir la possibilité de réaliser des longues distances (urban sprawl quand tu nous tiens) via l’intermodalité est encore un sujet trop peu traité. Il y a donc encore de nombreuses étapes à franchir pour nos cousins quebecois. Mais l’intention et la dynamique sont bien là. 

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