Micromobilité(s) et tourisme : le moment de bascule

Petit à petit, embarquer son vélo en week-end pour découvrir de nouveaux territoires ou avaler des centaines de kilomètres en mode “bike-packing” sont des pratiques qui se démocratisent (notamment grâce à des structures comme France Vélo Tourisme). Néanmoins, elles restent encore réservées à un public bien particulier, qui possède souvent son propre matériel (vélo, GPS…) et arpente en général les pistes hors des grandes villes. Mais ce spectre pourrait progressivement s’étendre aux zones urbaines et attirer un plus large public, grâce à la révolution des micromobilités. Les nouvelles options, toujours plus simples et universelles, que proposent désormais la plupart des villes, pourraient participer à une nouvelle forme d’éco-tourisme urbain. Allons voir les dynamiques en cours. 


Le tourisme urbain et les escapades courtes se développent 

Selon l’UNWTO, à l’échelle mondiale, les escapades urbaines ont augmenté de 47 % entre 2012 et 2018. Cela traduit un double phénomène. D’une part, les touristes partent de plus en plus à la découverte des villes, plus particulièrement des capitales, notamment européennes. A ce titre, le phénomène AirBnb a largement contribué à faire de Lisbonne, Amsterdam, ou encore Bruxelles de nouvelles destinations appréciées par les voyageurs du monde entier. D’autre part, les séjours sont de plus en plus courts, et il n’y a qu’à observer les étagères de la Fnac pour voir à quel point fleurissent les guides du type “un week-end à, 36h à”… A noter au passage l’excellente référence du New York Times “36 hours in Europe”. 

Le VLS change la donne, le VAE accélère le phénomène 

Mais quel lien avec le vélo ? J’y viens… La plupart des capitales et des principales destinations urbaines ont vécu ou vivent en ce moment même la révolution du vélo, voire des micromobilités (je vous conseille sur le sujet l’excellent travail de 15 Marches). Les vélos en libre service déployés depuis déjà quelques années sont une nouvelle option pour les touristes, qui possède de nombreux atouts : leur bas coût tout d’abord, la liberté de s’arrêter (presque) ou l’on veut – à l’inverse d’un bus touristique par exemple -, leur disponibilité (24h/24), l’accès à leur dispositif de réservation majoritairement multilingue et enfin la capacité de parcourir des distances bien plus importantes qu’à pieds. Un phénomène accentué par la montée en puissance des offres de vélos partagés à assistance électrique : faire 30 kilomètres pour visiter une ville est désormais facile et accessible à tous. 

L’offre de vélos électriques déployée à Lisbonne ouvre de nouvelles perspectives pour les visiteurs

Le free floating accentue le phénomène

Au delà des vélos en libre service mis en place par les autorités de transports des différentes villes, nul n’ignore l’explosion des nouvelles offres sans stations (free floating), que ce soit pour les vélos ou les trottinettes, déployées par de très nombreuses startups un peu partout dans le monde. Et clairement, elles viennent elles aussi augmenter le nombre de possibilités pour les touristes de se déplacer dans les villes. Comme le disaient à juste titre nos camarades de 6t dans leur étude sur le sujet “la trottinette permet par exemple de sortir de terre, de parcourir la ville en surface. C’est un mode premium de confort ludique”. Un autre phénomène est particulièrement notable : ce sont des offres souvent plus faciles à appréhender que les transports publics. Encore une fois, 6t l’exprime bien dans son étude : “la trottinette électrique fonctionne de la même manière partout (et l’appli liée aussi), ce qui met les touristes en terrain familier, là où l’offre de TC peut être complexe à utiliser”. Et tout cela, même pour les amoureux qui souhaiteraient visiter une ville sans se décoller… puisque comme l’indiquait notre ami Adrien Lelièvre (les Échos), des startups proposent même des vélos deux places en free floating. 

Le vélo deux places déployé par Pony Bike, spécial couples -:)

Que deviennent les acteurs classiques ? 

C’est donc une multiplicité d’acteurs qui proposent désormais des solutions aux touristes. Parce que n’oublions pas qu’il existait déjà de nombreux loueurs de vélos dans la plupart des capitales et principales destinations urbaines. Que vont-ils devenir ? Cela dépend clairement des villes. A Barcelone par exemple, ils ont encore un bel avenir, puisque les Bicing (vélos en libre service) ne sont pas utilisables par les non résidents, et que les offres en free floating sont très régulées (et par conséquent les offres en free floating sont marginales). Dans d’autres villes, les loueurs s’adaptent et proposent eux aussi de nouvelles solutions : trottinettes électriques, vélos à assistance électrique, fatbike et tout un tas de nouvelles montures que vous n’imaginiez pas ! 

Les loueurs s’adaptent aux nouvelles (micro)mobilités, ici à Valence (Espagne)

Des loueurs que l’on attendait pas ! 

Mais finalement, parfois, pas besoin d’aller chercher un vélo en libre service, une trottinette électrique en free floating… parce que son hébergeur propose déjà ce service. Petit à petit, il semble que proposer un vélo à ses invités devienne un facteur différenciant. J’ai eu l’occasion d’observer le phénomène lors de deux déplacements professionnels récents. Le premier, sur l’Île de La Réunion, ou le loueur Ada, de manière plutôt intelligente, a déployé des stations (légères) de location de vélos à assistance électrique à proximité de plusieurs hôtels. Il est donc très facile pour les clients d’utiliser ces différentes offres pour aller découvrir l’île.

Le second à Oslo, ou une offre sur Airbnb insistait particulièrement sur la mise à disposition de plusieurs vélos de manière gratuite, ainsi que toutes les infrastructures adaptées : parking facile d’accès, paniers, pompes, cadenas… De quoi vivre grandeur réelle l’expérience de l’habitant d’Oslo, particulièrement adepte du vélo !

Des stratégies “bike oriented” ?  

Petit à petit, il y a fort à parier que certains territoires (notamment urbains) vont faire du vélo un élément important dans leur stratégie touristique. J’ai en tête l’exemple de la province de Limbourg, en Belgique, qui est particulièrement intéressant à ce propos. Ce territoire a misé sur le vélo comme fil conducteur de toute sa politique touristique, qu’il s’agisse de mettre en avant des destinations urbaines ou rurales. Cela signifie investir dans des infrastructures : “au domaine de Pijnven, il est désormais possible de pédaler jusqu’à la cime des arbres”, dans la signalétique, et même un planificateur d’itinéraires en ligne. Et quel teasing… “bientôt, vous pourrez aussi faire du vélo à travers les arbres, la lande et même sous la terre…”. Un signe qu’il se passerait quelque chose ? 

Le guide Visit Limburg annonce la couleur ! 

Le smartphone, guide parfait 

Avant de conclure, comment ne pas aborder le potentiel du numérique ? Il est clair qu’un des chaînons manquants lorsqu’un touriste arrive dans une ville qu’il ne connaît pas, c’est bien l’information. S’il est désormais facile d’accéder à une offre de vélos de plus en plus importante, comment une fois en selle se guider dans (et hors de) la ville ? Heureusement, progressivement, des spécialistes s’engouffrent dans la brèche. On pourrait citer Géovélo, qui en France, développe en ce moment même une brique tourisme pour son application et propose notamment des boucles locales pour découvrir les villes, qui viennent s’ajouter aux modules existants permettant de voyager à vélo ! Des fonctions qui intéressent de plus en plus les autorités de transports, à l’image d’Ile de France Mobilité qui travaille pour créer des itinéraires RER+vélo en zone francilienne ! Ca n’est qu’un début… 

Geovelo développe des briques touristiques pour guider les visiteurs, ici à Paris par exemple avec les boucles à vélo


Une ville, un vélo et un touriste : et si c’était cela le trio gagnant pour envisager le tourisme autrement. Alors en ce début 2020, c’est clairement le moment d’accélérer. Comment ? Tout d’abord en informant les touristes, c’est basique mais primordial. J’ai mené une petite enquête (qui vaut ce qu’elle vaut) auprès de 60 offices de tourisme en France, et 49 d’entre eux m’ont indiqué que régulièrement voir systématiquement, des questions leur étaient posées sur le vélo (et tout ce qui va autour) par les touristes. Instructif… Mais quels outils ont-ils à disposition pour les renseigner ? En réalité, c’est là le premier étage de la fusée : il est désormais urgent de digitaliser les infrastructures cyclables des villes mais aussi créer du contenu afin de proposer des cartes (oui ça marche encore), mais surtout des outils digitaux que les touristes/visiteurs pourront utiliser sur leurs smartphones afin d’être guidés. Il est aussi primordial de former les agents pour qu’ils puissent mieux informer les visiteurs. Et au delà de l’information, il s’agit aussi de faire en sorte que le vélo devienne un facteur différenciant, créateur d’attractivité : aujourd’hui, le vélo “à disposition” ne fait pas partie des filtres de recherche dans Airbnb, ni chez Booking, ni sur les sites des hôteliers… et demain ? Enfin, il y a clairement un rôle à jouer pour les autorités publiques : que ce soit les autorités organisatrices de transports, ou les offices de tourisme, il y a urgence à mettre en avant la solution vélo et les micromobilités en règle générale pour les visiteurs… et il y a de très nombreuses manières de le faire, avec un peu d’inventivité… mais ça sera le sujet d’un prochain papier !

NB : je précise à mes lecteurs qu’en tant que consultant, j’accompagne Géovélo dans son développement en Europe. 

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