Luchon sera-t-elle un modèle de mobilité touristique durable ?

Le tourisme durable, tout le monde en parle (…) Certain.e.s tentent de s’attaquer aux vrais problèmes dont évidemment, le transport. Il est la première cause de pollution des vacanciers et son impact a été très clairement (et récemment) chiffré par l’Ademe. Mais malgré les chiffres, le déclic est lent, trop lent. Ainsi, alors que l’on note une timide évolution vers plus de proximité dans le choix de destination des français (depuis le COVID notamment), une très grande majorité des touristes se rend encore et toujours sur son lieu de vacances en voiture. Pourtant, de plus en plus d’alternatives existent et des villes possèdent de nombreuses cartes en main pour devenir des destinations touristiques durables, en misant sur une mobilité plus vertueuse. Un exemple ? J’en ai choisi un et pas du tout au hasard. Il s’agit de Luchon. D’ailleurs, soyons précis, je parle bien de Bagnères-de-Luchon, petite commune de 2400 âmes, perchée à 600 m d’altitude, dans le département de Haute Garonne, à tout juste 120 km de Toulouse. Pourquoi parler de cette commune plutôt que d’une autre ? Parce que les pouvoirs publics viennent d’y investir massivement : pour faire revenir le train en gare après 10 ans d’absence et pour permettre l’accès à la station de Superbagnères sans voiture depuis le centre ville. Alors à quelques mois du retour du train dans la vallée, j’avais envie de m’attarder sur les quelques ingrédients qui pourraient faire de Luchon un véritable exemple en matière de mobilité touristique durable. 

Luchon, la belle endormie (…) 

Ceux qui passent par Luchon aujourd’hui lui trouvent souvent un petit côté désuet, parfois délabré, un peu old school. Ils n’ont pas totalement tort. Pourtant, cela n’a pas toujours été le cas, bien au contraire. Au 19ème siècle, de nombreux visiteurs célèbres étaient attirés par la vogue des eaux thermales pyrénéennes, lancée par l’Impératrice Eugénie, ou les débuts du pyrénéisme.

Luchon vue depuis Saint Aventin

Surtout, l’arrivée du train en 1873 a largement contribué à la popularité de cette ville, qui petit à petit est devenue prisée des touristes huppés et cosmopolites jusqu’aux années folles. L’ouverture de l’hôtel d’altitude de Superbagnères (1922), relié par un train à crémaillère (puis par une télécabine) complètera la ville thermale d’un côté, par la station de sports d’hiver de l’autre. Luchon sera à son bel âge surnommée la Reine des Pyrénées ! 

Mais cet engouement s’est progressivement tari, au profit d’autres stations plus à la mode, faisant petit à petit de Luchon une station de “second rang”.

Des projets laissés à l’abandon

Pire, en 2014, pour des raisons de sécurité (ce qui était indiqué par RFF à l’époque), les circulations ferroviaires jusqu’à Luchon allaient être arrêtées. Ainsi, le 16 Novembre 2014, devant plus de six cents personnes, venues affirmer leur soutien à la ligne, la Dépêche, commentait “que l’on mettait un point, que personne n’espérait final, à 141 ans d’histoire”. Il va sans dire que la dynamique démographique de l’époque (en 2014, la population était revenue à son stade de 1840) n’avait vraiment pas besoin de ça. 

Montrejeau-Luchon, une liaison historique

Mais une ville n’est jamais totalement morte. L’après COVID est même synonyme pour Luchon d’une dynamique plus que notable. Est-ce le signe d’une stratégie audacieuse, ou un alignement de planètes fruit du hasard ? compliqué à affirmer. Toujours est-il que les projets fusent. Des villas sont rachetées pour faire de la location haut de gamme ; l’espace curiste des Thermes de Luchon a rouvert en mars 2024, après d’importants travaux ; un hôtel 4 étoiles vient d’ouvrir sur les allées d’Etigny… Même la brasserie locale (le Vénasque) se met à la page en sortant des IPA, c’est dire !!! Et puis, est-ce un hasard si le très parisien journal le Monde parlait de Luchon dans son palmarès 2024 des 10 destinations sans avion ?  

La transition tant attendue 

Surtout, deux évènements majeurs pourraient refaire de Luchon “la Reine des Pyrénées”. L’ouverture de la Crémaillère Express : après dix-huit mois de travaux, les nouvelles télécabines reliant Bagnères-de-Luchon à la station de Superbagnères sont entrées officiellement en service le 22 décembre 2023. Un premier bon point pour l’environnement, puisque cet équipement (made in Poma), plus eco-friendly que le précédent, vieux de 30 ans, permet d’accéder à Superbagnères sans voiture (bon, il y a surement un effort à faire sur le tarif) ! Un projet à 26 millions d’euros (le tarif vient sûrement de là!) !

La crémaillère express, nouvelle version !

Le second bon point viendra dans quelques mois de la réouverture de la ligne ferroviaire Montréjeau Luchon après 10 ans d’arrêt. Un sujet très important pour la Région, autorité organisatrice des TER, puisqu’elle compte également tester du matériel à hydrogène dès 2025. On parle ici de près de 67 millions d’euros d’investissements. 

Visite de la Présidente de Région – Droits d’auteur : Leo Arcangeli

Mis bout à bout, on dépasse sûrement les 100 millions d’euros d’investissement. De quoi mettre la pression pour proposer une station touristique qui réponde vraiment aux enjeux environnementaux… nombreux. Parce que scientifiques et professionnels du tourisme s’accordent sur un point : ça n’est pas uniquement la neige artificielle d’un côté et le plastique des gels douches dans les hôtels qui polluent le plus dans le secteur touristique, mais bel et bien le transport. Selon une étude réalisée par Utopies pour l’Ademe en 2022, 89% des Français utilisent encore leur voiture pour se rendre sur leur lieu de vacances en hiver. Encore plus parlant, 52 % de l’empreinte carbone d’une journée au ski dépend du mode de transport des skieurs. A l’inverse, venir skier en transports collectifs permet d’émettre quatre fois moins de CO2. Ca c’est pour la théorie, ou l’intention, selon. 

Le train comme déclencheur, à condition que… 

Cela peut paraître bizarre, mais en 2024, posséder une gare et des liaisons ferroviaires quand on est une station touristique, c’est absolument génial ! Il faut donc se réjouir de la réouverture de celle de Luchon. Pour les habitants, mais aussi pour les visiteurs. Se réjouir aussi de l’offre, annoncée autour de six allers-retours quotidiens, avec un temps de parcours de 35 minutes entre Montréjeau et Luchon… plutôt cool pour les Toulousains ! Avant sa fermeture, ce tronçon Montréjeau-Luchon enregistrait 43.000 déplacements par an. Cela pourrait être 62.000 à horizon 2030 selon les études figurant dans l’avis rendu en 2022 par l’Autorité environnementale. Les chiffres auront-ils raison ? Personne ne le sait en réalité, alors autant mettre toutes les chances de son côté. Pour le matériel roulant par exemple, la Région Occitanie a commandé au constructeur Alstom trois trains Régiolis bi-mode, alimentés par de l’électricité et de l’hydrogène. Ils doivent entamer les essais de validation début 2025 et devraient circuler sur ces nouveaux rails en fin d’année 2025 (en attendant, ça sera du diesel… kof kof kof…).  

Les rames Regiolis Hydrogène – Source : Alstom

Mais sortons des chiffres et des études préalables, on sait tous qu’il est très compliqué de prévoir l’avenir, surtout dans le contexte actuel. Penchons-nous plutôt sur les conditions de succès de l’arrivée du train dans cette belle endormie. Et là, soyons honnêtes, il y a du travail. Récemment, une étude diligentée par l’Association Nationale des Maires des Stations de Montagne indiquait que l’accès en transports en commun pour venir séjourner à la montagne relevait “du parcours du combattant”. Le propos est presque tiède. En face, plus d’un français sur deux serait prêt à basculer vers le train. Les attentes sont bien là, aux autorités publiques d’y répondre. 

Heureusement des dynamiques existent. Il y a Ski Rail en Occitanie. La formule est franchement géniale. Pour avoir observé les gamins arriver à Ax-les-Thermes avec leurs “skis aux pieds”, j’avoue que j’étais un peu jaloux de bosser ce jour-là ! Cette offre permet aux amateurs de glisse de bénéficier d’une réduction allant jusqu’à 70% sur l’aller-retour en train liO et le forfait remontées mécaniques. Ce sont 11 stations qui proposaient ce discount l’hiver dernier : Ax 3 Domaines, Beille, Porté-Puymorens, Ascou, Barèges, Guzet, La Mongie, Piau-Engaly, Cauterets, St-Lary et Le Lioran. Et puis le fait d’intégrer dans le package l’aller-retour, le forfait remontées, la navette entre gare et la télécabine et l’assurance ski est, il faut bien le dire, plutôt bien pensé. Alors oui, parfois la navette depuis la gare se fait attendre, et les jeunes terminent à pied. Oui, il y a là des choses à inventer pour ne pas transpirer avec ses skis sous les bras ! Mais la dynamique enclenchée est précieuse. Luchon sera d’autant plus adaptée à cette formule qu’elle coche les deux cases : train + remontée. Super Bagnères d’un côté, et Peyragudes de l’autre sont déjà ravies !!!

SkiRail, une offre combinée qui séduit nombre d’adeptes de la glisse

Côté dispositifs bien pensés, il y a aussi tout ce que fait le CRTL Occitanie avec l’Occitanie Rail Tour. L’idée est géniale : donner une saveur, une couleur, et des offres associées, à chaque ligne de TER de la région. Cette image bien marketée, associée à un tarif super avantageux font du train une offre réellement attractive pour les touristes. Alors, à la team Occitanie Rail Tour, “oyez oyez”, Luchon pourrait être une bien belle destination pour expérimenter grandeur réelle un parcours Rail Tour de A à Z, jusqu’à l’entrée de l’hôtel ! 

Mais en réalité, l’offre et le marketing ne suffisent pas. Loin de là. Il est grand temps d’améliorer le lien entre les gares “et le reste du monde”. Parce qu’aujourd’hui, lorsqu’on arrive dans les petites gares du territoire, c’est une grande impression de solitude, c’est le moins que l’on puisse dire. D’un côté, des projets de PEM fleurissent (avec soyons honnêtes, un peu toujours la même recette) mais en général plutôt dans les grandes villes. De l’autre, les petites villes voient plutôt les guichets de leurs gares fermer un par un ou à minima, les horaires de présence du personnel en gare fondre comme neige au soleil.

Que dire de l’information sur place, bien souvent limitée à son strict minimum (terminées les fiches horaires, adieu les thermomètres de ligne..). Ne parlons pas d’une éventuelle signalétique ou d’un jalonnement pour se rendre dans le centre ville. Même quand ce dernier est à moins d’un km, votre seul ami sera Google Maps…. 

Les horaires de…. 2022 !

Il y a donc énormément à faire de ce côté. Et le pragmatisme aidera beaucoup. Certains avancent clairement dans cette logique. Pas si loin, toujours en Occitanie, l’Office de Tourisme de Moissac (une super équipe) a lancé un partenariat avec la SNCF qui repose sur… le bon sens. L’office a fournit à la gare un plan pour indiquer le cheminement entre le bâtiment voyageur et l’OT ; il distribue aux contrôleurs des mini livrets au “format CB” avec un QR code renvoyant vers des lieux insolites du territoire ; enfin, il a collaboré avec le personnel présent en gare pour que ce dernier se fasse relai d’informations touristiques.

Combien de territoires ont lancé ce genre de petits projets ? Très peu… C’est pour cette raison que cette connexion entre gares et territoires sera un axe sur lequel le CRTL Occitanie avancera dans les mois à venir dans le cadre de l’AMI Office de Tourisme et de la Mobilité, auquel participe mon cabinet. Avec les copains de Vraiment Vraiment, nous en avons fait un cheval de bataille. 

Un écosystème à faire émerger 

Parce que oui, les Offices de Tourisme ont un rôle à jouer dans la promotion des offres de mobilité plus durables. Ça vaut partout, mais particulièrement à Luchon. Sur les Allées d’Etigny, ce sont 3 ou 4 bureaux d’information touristiques qui fournissent chacun une information sur leur ressort territorial : le 31, le 65, l’intercommunalité, etc… 

Alors, comment ça marche l’information ? ? ?

Aujourd’hui, on sent déjà la difficulté à communiquer de manière compréhensible sur l’offre de navettes existantes, notamment depuis la gare. Avec l’arrivée du train, et sa connexion potentielle avec certaines d’entre elles, il serait dommage de brouiller l’information par un manque de coopération ! 

Les navettes justement, elles peuvent jouer un rôle dans le fameux “dernier kilomètre”. Là encore, il sera particulièrement important de revoir l’ensemble de l’offre en lien avec l’arrivée du train et positionner la gare comme un point particulièrement bien identifié. [Message important : “des plans de lignes, avec un sens identifié, des arrêts positionnés, des temps de trajet inter-stations etc… Merci de votre attention !”.]  Et d’ailleurs, pourquoi ne pas capitaliser sur une des forces de la vallée : la centrale hydro ! C’était l’objet d’une expérimentation de navettes électriques lancée par le super directeur et le directeur adjoint de l’Office de Tourisme intercommunal (dommage, les deux sont sur le départ !) l’an dernier. Et cela avait du sens, parce que la centrale de Luchon, alimentée par le barrage du lac d’Oô, au confluent de deux rivières, permet d’alimenter l’équivalent d’une ville de 30.000 habitants. Vous les voyez demain, les navettes électriques déployées depuis la gare, utilisant cette électricité particulièrement propre ? 

L’expérimentation de l’OT de Luchon en VE

Alors oui, informer depuis la gare sera essentiel et associer des navettes aux trains sera une réponse particulièrement efficace à certaines périodes. Mais piétons et cyclistes devront aussi y trouver leur compte. Ils restent ceux dont le bilan environnemental sera sûrement le plus favorable, et seront très vraisemblablement de plus en plus nombreux, peu importe la saison. Coté vélo, une politique claire concernant le vélo+train semble progressivement émerger dans la Région. Lors de la journée des Mobilités Actives en Occitanie, qui avait lieu il y a quelques jours (Mars 2024), une participante pointait du doigt l’intérêt d’analyser le rôle de l’itinérance à vélo ligne par ligne (de train), selon les spécificités de chaque territoire. Très juste.

De manière générale, pour les piétons et les cyclistes, une fois arrivé en gare de Luchon, il y aura aussi un lien physique à recréer entre la gare et les Allées d’Etigny (véritable cœur commercial de la ville), aujourd’hui coupées par la D618. C’est aussi un message politique que de reprendre cet itinéraire d’à peine un km et d’accompagner une nouvelle entrée de ville pour ceux qui ont choisi de prendre le train. Urbanistes, paysagistes, à vos planches à dessin ! 

Encore un effort 😉

En réalité, beaucoup d’éléments sont réunis pour réveiller Luchon la mondaine. Mais surtout, il y a dans cette vallée de très nombreux ingrédients essentiels à la création d’un nouveau modèle de tourisme, dont la mobilité serait beaucoup plus vertueuse. Région et Département ont, il me semble, déjà fait une partie du job. On ne pourra pas les attaquer pour leur immobilisme, bien au contraire. Désormais, il va falloir un peu d’huile de coude du côté de Gare & Connexions, un soupçon de courage politique au niveau local et sûrement un je ne sais quoi de poudre magique. De l’autre côté, dans l’autre vallée, Loudenvielle a fait un travail extraordinaire pour mettre en avant une nouvelle forme de tourisme, tournée vers la nature, l’outdoor… Mais cette dernière n’ayant pas la chance d’avoir une gare, est en train de devenir un parking à ciel ouvert à l’arrivée des beaux jours !

… Luchon, tu sais ce qu’il te reste à faire. 

 

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