Portugal : A Porto, les touristes, des usagers comme les autres

Cette année, Porto a une énième fois remporté le prix “Europe’s Leading City Break Destination“. Le city break c’est cette manière de voyager sur une courte durée (de deux à cinq jours environ) dans des destinations plutôt urbaines. La plupart des grandes villes européennes sont les destinations courantes pour partir en city break et il est vrai que Porto possède une morphologie qui s’y prête plutôt bien : taille et population mesurées (220 000 habitants), centre historique concentré, fleuve (Douro) et littoral accessibles et bien équipés, et évidemment le fameux classement Unesco. Conséquence : plus de 10 millions de nuitées ont été enregistrées en 2019.

En ce mois d’août 2021, alors qu’une foule compacte, majoritairement européenne, se massait encore sur les bords du Douro, j’ai souhaité comprendre comment la municipalité agissait pour gérer les déplacements de ses “city breakers”. Sur place, j’ai découvert des innovations plutôt intéressantes, et par le hasard du calendrier, j’ai pu tester des expérimentations à peine lancées. Mon récit. 

Miser intelligemment sur son réseau existant 

Il y a les villes touristiques qui sont encore convaincues que pour répondre aux besoins des visiteurs, il suffit de créer des navettes et de laisser tourner des bus panoramiques dans leurs rues (j’exagère)… et puis il y a les autres… dont Porto fait partie. Il faut dire que la ville a une chance : elle possède un réseau de transports publics dense et plutôt performant, dont le métro et les bus sont les symboles. Avant le début de l’épidémie, celui-ci transportait plus de 70 millions de personnes chaque année, une performance. 

C’est sûrement pour cette raison que la municipalité a décidé de miser sur ce dernier pour transporter les visiteurs. En misant sur certains symboles, à l’image du Funicular dos Guindais qui au delà de l’attraction est une excellente manière de monter depuis la ville basse vers le “barrio alto”, mais aussi et surtout de l’Electrico, le bien connu tramway jaune. Comme à Lisbonne, la municipalité en a fait un de ses emblèmes et propose 3 boucles qui permettent de desservir le centre mais aussi les bords du Douro. Pour les touristes, c’est une manière de découvrir la ville bien plus économique (3,5€) et écologique que les tuk-tuk… Pour la STCP, la société publique qui exploite le réseau, c’est aussi une manne financière non négligeable.

Au-delà des symboles historiques comme le tramway, la municipalité et son opérateur ont également su miser astucieusement sur d’autres lignes du réseau de bus, à l’image de la 500 (j’en parlais ici il y a quelques mois). Cette dernière, qui relie la Praça da Liberdade aux plages de Matosinhos en longeant le Douro, est devenue exemplaire en terme d’utilisation des transports publics pour traiter la problématique touristique. Le choix du matériel roulant, un bus à impériale Man – un choix suffisamment rare dans le monde du transport urbain pour être souligné – permet à la ligne d’être capacitaire, visible mais aussi une attractivité pour les touristes qui profitent d’une vue “d’en haut” sur la ville ! C’est aussi une ligne toujours en pointe côté expérimentations. En 2014, elle faisait partie des premières à bénéficier du wifi gratuit à bord. Un autre atout pour les touristes, qui à l’époque ne bénéficiaient pas du “roaming” lorsqu’ils utilisaient leur réseau à l’étranger. Enfin, depuis quelques semaines (nous y reviendrons) la Linha 500 est encore une fois la première ligne à bénéficier d’une nouvelle expérimentation facilitant grandement l’accès à bord. 

Evidemment, la ville est aussi ouverte aux initiatives privées : des compagnies de bus touristiques, de tuk-tuk, et plus récemment des startups de trottinettes en free floating parcourent les rues, mais leur présence est fortement régulée, que ce soit concernant les types de véhicules autorisés, ou encore leur accès physique en centre ville.

Cela fait aussi partie de la stratégie de la municipalité pour tenter de traiter les visiteurs comme des voyageurs “comme les autres”.

Une stratégie qui au-delà de l’offre passe aussi et surtout par un élément absolument primordial : l’information voyageurs. 

Informer, sans chichi 

Il ne faut jamais oublier que mieux informer les touristes c’est finalement mieux informer l’ensemble des usagers de son réseau. La ville de Porto l’a très bien compris. 

Depuis plusieurs années, elle enchaîne des innovations, empreintes de pragmatisme et d’efficacité. Lorsqu’en 2014, elle lançait un vaste programme visant à généraliser le wifi à bord de ses bus, c’était aussi une manière de créer un vaste réseau de hotspots dans la ville, afin que les touristes ne se trouvent jamais dépourvus de réseau et donc d’informations. Cinq ans plus tard, convaincus par les chiffres de connexion, les élus locaux ont décidé de pérenniser le dispositif.

Lorsqu’en 2017, la STCP annonçait l’intégration de l’ensemble de ses lignes au sein de l’app Google Maps, c’était aussi une manière de proposer aux visiteurs une manière plus simple de calculer leurs itinéraires.

Il est d’ailleurs fort probable que même les portuans préfèrent désormais utiliser Google Maps que l’app locale, assez mal conçue…  

Et la municipalité ne semble pas freinée par le contexte sanitaire, puisqu’en cette année 2021, entre deux confinements, elle a lancé une nouvelle initiative, plutôt inédite : Explore Porto. Financé dans le cadre d’un programme européen partagé avec la ville d’Helsinki, Explore Porto est un site web qui regroupe des informations sur les transports (bus, métro, trottinettes) et sur les points d’intérêts de la ville. Les habitants et visiteurs peuvent se connecter directement sur le site d’Explore Porto, ou scanner des QRcodes affichés via des beacons sur 1000 points d’intérêt (POI) de la ville, afin d’accéder aux informations sur le lieu où ils se trouvent. Ce projet est inédit, et très intéressant par bien des aspects. Tout d’abord parce que le site web met en avant la géographie de la ville : il s’agit d’abord d’une carte du territoire (sur fond OpenStreetMap) proposant des points d’intérêt et des offres de mobilité. Également parce qu’il met en avant la notion de points d’intérêt avant celle d’itinéraires… une manière de se rappeler ce que beaucoup de calculateurs d’itinéraires ont oublié : on ne se déplace pas juste pour se déplacer ! Aussi parce que les mille POI ont été choisis par la municipalité, qui a elle-même produit le contenu associé.

C’est donc un principe d’éditorialisation et un choix éclairé de la puissance publique, en alternative aux Tripadvisor like. 

Enfin, parce c’est une belle manière de lier le numérique (le site web) et le physique (les QR codes disposés un peu partout dans la ville). Explore Porto c’est donc encore une fois l’innovation dans ce qu’elle a de plus simple et pragmatique (en utilisant des technologies basiques comme le QR Code) pour mettre en avant une mobilité plus durable dans les pratiques touristiques. 

Cette philosophie, c’est aussi celle qui semble être suivie dans le cadre du déploiement de l’Open Payment ! 

Faciliter l’accès, avec pragmatisme

Il y a 3 semaines, la municipalité et l’opérateur STCP annonçaient en grande pompe le déploiement de l’open payment (paiement par téléphone mobile et par carte bleue) sur le réseau de transports publics, en collaboration avec Visa. Est-ce un scoop ? alors que d’autres grandes métropoles européennes ont déjà déployé ce dispositif, et pour certaines il y a bien longtemps (lire notre article concernant l’Open Payment à Londres) ! C’est en tous cas particulièrement intéressant pour le sujet qui nous intéresse, à savoir les déplacements des touristes. Parce qu’encore une fois, Porto a pleinement intégré cette logique dans sa stratégie de déploiement.

L’Open Payment est d’abord expérimenté sur la ligne 500… encore elle ! Elle est donc encore une fois la première à bénéficier des dernières innovations lancées par l’opérateur. Et désormais, entre le matériel roulant spécifique, le wifi gratuit et l’open payment, elle est aussi en train de devenir un “symbole” à l’échelle du réseau STCP ! En plus de la ligne 500, la ligne Violette (E) du Metro Do Porto (et les stations du centre-ville) bénéficie aussi de l’expérimentation. Le fait d’équiper en priorité la ligne E n’est pas un hasard : c’est elle qui relie l’aéroport au centre ville.

Encore une fois, l’idée est bien de simplifier la vie aux touristes et de leur faire préférer un mode de déplacement plus vertueux, comparé aux taxis et autres VTC, qui proposent des tarifs très agressifs pour relier Porto. 

Et au delà de l’évolution du support de paiement, la tarification innove elle aussi. Concrètement, chaque validation est facturée 2 €, un tarif qui permet à l’usager de se déplacer pendant 1h15 maximum, quel que soit le nombre de correspondances, dans l’une des gares mentionnées ou dans les bus à impériale. Puis, de manière similaire à ce que l’on peut observer à Londres par exemple, un dispositif de capping a été mis en place. Ainsi, si l’usager effectue 4 trajets ou plus dans la journée, le tarif le plus avantageux s’applique, dans la limite maximale de 7,00 €, équivalent au tarif du “ticket jour Andante”.

Au-delà de l’open payment en lui-même, le capping est aussi une manière de simplifier la proposition tarifaire pour les visiteurs, de les rassurer, et de promouvoir une plus grande utilisation des offres de transports alternatifs, avec un prix très avantageux. 

Porto serait-elle la ville exemplaire dans la gestion des déplacements touristiques ? La belle du Douro a encore de nombreux angles morts à traiter : le vélo est quasiment absent de la stratégie municipale (en terme de service et d’infrastructures), les offres de déplacement privées sont encore bien peu respectueuses des règles (malgré la régulation mise en place) et l’intermodalité a encore de grandes marges de progrès. Mais le principal c’est que la ville a compris une chose essentielle : il s’agit de considérer les visiteurs comme une catégorie d’usagers à part entière – ni plus ni moins – dans la gestion de l’offre de mobilité. Cela permet de mieux répondre à leurs besoins et de promouvoir une mobilité plus vertueuse, moins chaotique. Cela permet aussi – et c’est notable – d’améliorer considérablement l’offre pour les habitants. La feuille de route est donc toute écrite pour la prochaine équipe municipale (les élections ont lieu le mois prochain) : continuer dans cette philosophie tout en mettant l’accent sur les mobilités douces et l’intermodalité. 

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