Longtemps connue du grand public pour son magnifique Guggenheim et des urbanistes pour son incroyable transformation urbaine, Bilbao faisait moins parler d’elle ces dernières années. Mais la capitale de Biscaye a décidé de truster de nouveaux les podiums des métropoles exemplaires avec son programme Ville 30, qui lui a valu début avril le premier prix « de la mobilité durable » remis par la Commission Européenne. Derrière cette dynamique, il y a une volonté plus large de faire en sorte que la marche à pied, majoritaire dans la ville, soit toujours plus facile et plus sécurisée pour tou.te.s. Une dynamique qui passe par bien d’autres outils…
La ville à 30 km/h, ou l’enjeu de la pacification
Offrir la possibilité à toutes et tous de pratiquer la ville dans les mêmes conditions et en toute sécurité fait partie des objectifs de la municipalité de Bilbao, avec une priorité clairement affichée par Alfonso Gil, l’élu en charge des mobilités : la santé des habitants. C’est ce qui a été son leitmotiv pour généraliser le 30 km/h dans toute la ville en Septembre 2020. Ce passage à 30 permet de répondre à plusieurs enjeux, très basiques. Le premier est celui de l’accidentologie : « alors que sur les routes interurbaines, le taux d’accidents diminue de 6%, sur les routes urbaines, il a augmenté de 6%. Par ailleurs, 70% des personnes décédées en zone urbaine étaient jusqu’il y a peu des personnes vulnérables, âgées de plus de 65 ans ». Le second est tout aussi important, et ce ne sont pas les habitants qui me contrediront, il s’agit de la pollution. Et l’élu aux mobilités précise et insiste « la pollution, autant en terme d’impact environnemental qu’acoustique ».
Mais au fond, opérer cette bascule de la ville à 30, c’est aussi une philosophie, un tournant idéologique, dans le bon sens du terme. C’est affirmer cette conviction qu’en diminuant la vitesse, et par conséquent toutes ses conséquences néfastes, cela permet de pacifier une ville, et de redonner véritablement sa place au piéton.
Bilbao est la première ville de plus de 300 000 habitants à généraliser la limitation de la vitesse à 30 km/h à l’échelle de la commune toute entière. C’est un fait. Mais finalement cela est presque logique aux vues de la configuration de cette dernière. Rappelons quelques chiffres : la ville ne dépasse pas les 40 km2 de superficie, et affiche une densité moyenne de plus de 8.000 habitants au km2. Une densité moyenne qui affole les compteurs dans certains quartiers au nord du Nervión avec plus de 40.000 bilbaíno/as partageant le même kilomètre carré ! C’est surement pour cette raison que la capitale de Biscaye peut s’enorgueillir de dépasser les 60% de part modale pour la marche à pied…
Mais il ne faut pas se méprendre. Promouvoir la ville à 30, partout, y compris sur des artères encore à 2×2 voies traversant la ville, ça n’est pas de tout repos. La méthode de Bilbao, c’est une limitation réalisée par étape, qui s’inscrit encore aujourd’hui dans un processus d’observation et de dialogue continus. Et Alfonso Gil est plus qu’honnête sur le sujet « tout le monde n’était pas enchanté par cette mesure forte. C’est pourquoi, après une étape de concertation citoyenne, absolument primordiale, le déploiement a été progressif jusqu’aux 100% de Septembre 2020. C’est pourquoi aussi, le contrôle des vitesses est pour le moment uniquement pédagogique ». Il est vrai qu’en observant quelques axes « roulants » du centre ville, force est de constater que le 30 km/h n’est pas encore totalement respecté. Là aussi, c’est la pédagogie et la progressivité qui semble l’emporter « nous allons contrôler toutes les zones de la ville, puis là ou nous observons que les règles sont régulièrement non respectées, alors nous envisagerons de distribuer des amendes ».
La mobilité verticale, vecteur d’un pacte intergénérationel
La ville à 30 km/h c’est un tournant majeur, tout autant qu’une décision politique importante. Mais ca n’est finalement que la suite logique de tout le processus engagé par la capitale économique du Pays Basque depuis plusieurs années pour remettre le piéton au centre de la conception des espaces publics. Et à ce sujet, existe-t-il une meilleure illustration que l’incroyable développement de la mobilité verticale à travers la ville.
En partant découvrir une partie des presque 50 ascenseurs ou encore 20 escaliers et rampes mécaniques que compte la ville, j’ai fait la rencontre de Maria Carmen. Sur la dernière marche d’un escalator, cette habitante du quartier de Begoña qui du haut de ses 78 ans, n’a jamais quitté « sa butte » me l’a confirmé : elle ne se déplace qu’à pied pour l’ensemble de ses besoins du quotidien. Et pourtant, pour rejoindre ce que certains habitants appellent encore le « pueblo de altura » (village en hauteur), il faut être armé de courage. Hissé à plus de 150 mètres au dessus du niveau de la mer, le quartier de Begoña se mérite ! Mais Maria Carmen, (qui fait partie des 24% de la population de Bilbao de plus de 65 ans) a une botte secrète qui l’aide sacrément dans son quotidien : elle est une adepte des escalators, ascenseurs et autres rampes mécaniques.
Ces équipements, parfaitement intégrés dans l’espace urbain, sont accessibles 24h/24, gratuits, et peuvent être utilisés tant par les habitants que les visiteurs. Pas étonnant qu’en 2019, ils aient déplacé près de 25 millions de personnes… plus que certains réseaux de transports publics de villes moyennes. Une mobilité verticale qui ne fait pas du tout partie du passé de la ville : la municipalité continue à inaugurer de nombreux projets (le dernier date de Janvier 2021) et planifie plusieurs nouvelles constructions. Comme l’évoque Alfonso Gil, ces équipements ne sont pas seulement des infrastructures, ils sont pour tou.te.s les bilbaínas/os une possibilité de sortir de chez eux « même lorsqu’ils ont 300 marches à franchir pour aller acheter leur baguette de pain »!
Que ce soit au travers de la ville 30 ou par le déploiement d’outils au service des citoyens, Bilbao sait depuis la début de son vaste programme de rénovation urbain offrir des solutions pragmatiques aux habitants, qui peuvent plus facilement et sereinement se déplacer à pied. Et il ne faut pas s’y tromper, on ne parle pas là uniquement d’urbanisme, c’est d’une culture de l’espace public dont il s’agit, avec en filigrane « un pacte intergénérationnel » dont ont besoin toutes les villes pour se développer.