La donnée vélo, de l’or en barre

Pas besoin de vous faire un dessin, le vélo (et ses cousines les trottinettes) fait un tabac dans l’hexagone ! Bénéficiant d’un soutien populaire et d’un regard de plus en plus intéressé des élus, il fait émerger de nombreux projets d’infrastructures et génère un foisonnement d’offres de services. Pourtant, malgré ce succès, son volet “numérique” reste, hormis quelques rares exceptions, plutôt à la traîne. Il y a une raison essentielle qui explique cela : la “donnée vélo” est un sujet encore très peu maîtrisé par les acteurs de la mobilité quels qu’ils soient. Pourquoi ? Quels sont les nouveaux entrants qui se penchent sur le dossier ? A quoi peut-on s’attendre demain ? Quels sont les défis à relever ?

Les voies cyclables, merci Open Street Map

Si vous le voulez bien, commençons par le début : la digitalisation des voies cyclables, et donc la création des données qui leur sont liées. D’un premier abord, on pourrait penser que la tache serait plus facile que pour les réseaux de transports en commun (sujet dont on discute souvent sur ce blog) : pas d’horaires, d’amplitudes, de fréquences, de points d’arrêts, de mises à jour… Et pourtant, détrompez vous, une voirie adaptée au vélo, cela peut prendre de nombreuses formes : bande cyclable, véloroute, voie verte, piste cyclable unidirectionnelle, bidirectionnelle, zone apaisée…. et j’en passe.

Les données de voirie vélo (on les appellera ainsi pour faciliter notre propos) au delà de leur complexité intrinsèque, doivent s’inscrire dans une démarche qualité elle même très rigoureuse. Lorsqu’elles sont créées de toutes pièces, cela nécessite un travail de terrain minutieux, et une saisie affutée ! Il y a en France de bons spécialistes du sujet, comme Charles Millet, qui travaille chez Cartocité.

Créer des données vélo, ça n’est pas magique. C’est un travail de terrain majeur…. en vélo !!! Crédit photo, Charles Millet, Twitter

Lorsqu’elles sont récupérées, de sources diverses, elles sont encore hétérogènes (GeoJson, Shapefile, Csv…), peu exhaustives et rarement précises, et ce, qu’elles proviennent du portail d’exposition Open Data d’une collectivité, ou directement de son service SIG. Il s’agit donc pour chaque territoire de les vérifier, compléter, puis de les intégrer.

Les données de voirie vélo les plus précises sont aujourd’hui celles d’OpenStreetMap (OSM). Et en plus d’être précises, elles sont actualisées et ouvertes. C’est d’ailleurs pour cela qu’un des principaux acteurs du secteur français, Géovélo, a fait le choix de déposer tout son travail sur la plateforme ouverte (près de 60.000 km de voies). Mais qui dit précision, dit dur labeur : les recommandations d’OSM pour saisir et baliser les données liées au vélo sont très rigoureuses, et ce pour une bonne raison, précisée sur la page qui leur est dédiée : “avoir des données de bonne qualité dans ce domaine permet aux logiciels de navigation de choisir les meilleurs itinéraires pour ce moyen de transport”. Alors, à quoi ça ressemble dans la réalité ? allez parcourir le wiki d’OSM, ou sur les cartes de CyclOSM vous comprendrez mieux. 

Au delà de ce qu’il y a “dans ces données”, ce qu’il faut également comprendre, c’est qu’OSM est un système créé pour et par le contributeur, avec l’idée de coller au mieux au terrain. Voila pourquoi les données sont les plus précises et les plus actualisées. Et voila pourquoi OSM répond bien à la problématique si précise, mouvante et communautaire qu’est celle du vélo. Un cas concret pour illustrer notre propos ? Prenons la rue de Rivoli, à Paris. Elle dispose depuis le 19 Septembre d’une nouvelle piste cyclable. Coté OSM, elle a été ajoutée et renseignée le jour même. Coté Google Maps, elle est encore répertoriée comme une “voie douce”. On peut penser qu’il y a de nombreux fans de vélo, et d’associations qui devaient être dans les starting-blocks pour ajouter l’information en premier… mais c’est clairement cela la force d’OSM. 

La piste cyclable de la rue de Rivoli, à Paris, vue par Google Maps !

 

La piste cyclable de la rue de Rivoli, à Paris, vu par OpenStreetMap !
La piste cyclable de la rue de Rivoli, à Paris, vue par OpenStreetMap !

Cette comparaison entre OSM et Google Maps me permet de revenir sur deux légendes urbaines. La première : le calculateur d’itinéraire vélo de Google Maps en réalité n’en est pas un. Il utilise des données ouvertes, souvent peu précises, sans les vérifier, et les intègre dans son algorithme pour être capable de vous offrir une “fausse solution vélo”. La seconde : il n’y a pas que Google Maps qui sait faire du Street View, allez voir du coté de Mapillary. Soit dit en passant ! 

Mais alors, les données des “voiries vélo” seraient-elles trop complexes pour être standardisées ? C’est la question qui m’a rapidement brûlé les lèvres. Mais visiblement je ne suis pas le seul : les équipes de Transport.data.gouv.fr et d’Ile de France Mobilité ont entamé une réflexion sur le sujet. L’acteur Géovélo a été sollicité pour apporter son savoir faire sur la question avec une idée clé : pouvoir transposer le schéma OSM vers un standard. Les éléments sont publics et ont été partagés sur ce Gitlab.

Petit aperçu des données OSM européennes (https://www.opencyclemap.org)
Petit aperçu des données OSM européennes (https://www.opencyclemap.org)

Cette réflexion sur les standards, surtout si elle est basée sur tout le travail déjà réalisé sur OSM, aura évidemment du sens à l’échelle française, mais d’autant plus à une échelle européenne. Comme pour les transports collectifs, l’idée clé doit être de cheminer progressivement vers un standard partagé et utilisé par tous les Etats membres…


Services vélo, à quoi sert le GBFS ?

Vous connaissiez le GTFS dans les transports publics (j’en parle notamment ici) ?, et bien, je vais maintenant vous parler du GBFS. Car si pour le moment, il n’y a pas de vraiment de standard à proprement parlé pour qualifier les voies cyclables, les réflexions sont déjà plus avancées à propos des services. Parce qu’au delà des différentes voies, plus ou moins adaptées au vélo, il y a depuis déjà quelques années de nombreux systèmes de vélos en libre service disponibles en stations, auxquels sont venus s’ajouter plus récemment des vélos en free floating (sans stations). Pour l’ensemble de ces services, il est primordial de pouvoir fournir des informations sur la géolocalisation des vélos, des stations le cas échéant et la disponibilité des engins.

Exemple de la disponibilité des VCUB à Bordeaux, avec ici en plus le dispositif de prédiction développé par Qucit

Et c’est là que les américains débarquent ! La NABSA, est une organisation créée en 2014, qui pour le dire simplement, réunit des entités publiques et privées pour réfléchir et participer à la promotion des systèmes de vélos partagés (et depuis 2018 l’ensemble des micro mobilités). Elle compte 90 membres dans 9 pays. Pourquoi je vous parle de la NABSA ? Parce que c’est cette association qui pilote le développement du General Bikeshare Feed Specification (alias GBFS), le standard qui est désormais utilisé par 230 systèmes de micromobilités partagés dans le monde !

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La BANSA est une association nord américaine pour la promotion du vélo partagé

Mais plus concrètement, que dit ce GBFS ? via une API, il permet de localiser les stations et d’indiquer l’état du système à l’instant T, le tout sans faire remonter de données d’historique. C’est un standard plutôt orienté usagers, designé pour proposer des informations à ces derniers. 

Voici synthétiquement la composition d’un GBFS

On parle de 230 systèmes utilisant le GBFS dans le monde… Mais en France, le GBFS est il utilisé ? Du côté des réutilisateurs historiques, on ne se pousse pas au portillon pour utiliser le standard américain, et ce pour plusieurs raisons. D’abord parce que nous sommes encore dans la situation ou chaque collectivité produit et publie son propre jeu de données (parfois en Open Data), mais encore et toujours avec une qualité discutable, et souvent dans des formats hétérogènes : Json, Csv… Le GBFS n’est donc pas utilisé par les réutilisateurs, parce que tout simplement inexistant dans ce cas.

Pour tenter de résoudre ce problème, Transport.data.gouv a commencé à générer des GBFS, soit depuis les fichiers en Open Data, soit directement depuis les fournisseurs de service (ex : Smoove ou JC Decaux). C’est une première avancée, même si aujourd’hui, seuls 8 jeux de données GBFS sont proposés. 
Un exemple de fichier GBFS sur transport.data.gouv.fr
Un exemple de fichier GBFS sur transport.data.gouv.fr

Par ailleurs, dans ce cas précis, les réutilisateurs sont souvent confrontés à un autre problème :  la capacité de serveurs à accepter la charge d’appels des API. Car n’oubliez pas, on parle de données pour informer les utilisateurs en (quasi) temps réel. Certains réutilisateurs vont donc jusqu’à les appeler toutes les minutes… Conséquence ? les GBFS de Transport.data.gouv sont pour le moment plutôt utilisés par des data analyst plutôt que par des réutilisateurs. Enfin, beaucoup reconnaissent que le GBFS n’est pas (encore) le standard parfait. Il souffre encore de plusieurs lacunes (ex : il ne permet pas d’afficher le niveau de remplissage des batteries des vélos). Pour toutes ces raisons, pour le moment, bien que les réutilisateurs “historiques” partagent l’intérêt du GBFS, ils continuent majoritairement à appeler directement les API des fournisseurs de solutions, comme par exemple celle de JC Decaux

Et les nouveaux acteurs du secteur ? on pourrait penser qu’ils auraient clairement intérêt à plonger dans le monde du GBFS… plus facile d’arriver après la guerre ! Dans la réalité, ils jouent la carte du pragmatisme. Lorsque le GBFS est disponible en entrée, ils l’utilisent. Mais ils utilisent tout autant les données en open data (avec des formes très diverses) et les API des app mobiles. Charge à eux ensuite de gérer l’intelligence et la capacité des serveurs via leurs propres infrastructures.

Par ailleurs, la plupart de ceux que j’ai interrogé indiquent eux aussi que le GBFS est encore très perfectible : “il a été prévu pour les vélos avec station(s) et a du mal à évoluer pour englober d’autres types de véhicules”.

Ils constatent souvent que les opérateurs de micro-mobilité, pour combler les manques de ce standard, incluent eux même des champs supplémentaires (ex : nombre de véhicules électriques à une station), bousculant l’idée même du standard au passage. Enfin, dernière difficulté soulevée: un fichier GBFS ne concerne qu’un seul opérateur, il faut donc envoyer des requêtes vers plusieurs GBFS si l’on veut intégrer tous les opérateurs, pour une application orientée MaaS par exemple. Un autre biais. 

Ainsi, malgré l’idée géniale du début, le GBFS fait aujourd’hui face à de nombreux défis. Le premier, c’est peut être de le faire connaître au plus grand monde, dans le secteur très mouvant de la micromobilité, tout comme ce fut le cas en son temps pour le GTFS dans le domaine des transports publics (aujourd’hui largement utilisé dans le monde). Il s’agit ensuite de le faire évoluer, et de l’enrichir. Les Pays Bas par exemple, suivent cette philosophie puisqu’ils ont décidé de créer le GBFS+. La NABSA, a la base du standard, n’a pas non plus dit son dernier mot: elle vient de missionner Mobilitydata.io pour l’aider dans sa réflexion. Mais d’autres acteurs de la mobilité aux Etats Unis ont eux choisit d’aller encore plus loin, en augmentant ce premier standard, et en créant le MDS. Nous en parlerons demain ! 

(*) Un grand merci à Mathieu de Brito, architecte technique chez Géovélo et Pierrick Paul, CTO de Flucto, qui m’ont beaucoup aidé à comprendre les enjeux des API et plus globalement du GBFS. 


Services vélo et usages : GBFS vs MDS

Tous les spécialistes vous le diront : “pour répondre à toutes les nouvelles questions posées par l’évolution du secteur, il y a maintenant le MDS, qui signifie Mobility Data Specification. C’est une réflexion beaucoup plus jeune que le GBFS, car liée à l’arrivée des nouveaux opérateurs en free floating. L’idée est de permettre à la puissance publique d’accéder à des données qui peuvent éclairer la gestion de la circulation en temps réel et le pilotage des politiques publiques de mobilité.

Ce sont les nouvelles offres en free floating que vise le MDS avec des enjeux de régulation - Ici l'exemple de zones régulées à Bordeaux, 2019
Ce sont les nouvelles offres en free floating que vise le MDS avec des enjeux de régulation – Ici l’exemple de zones régulées à Bordeaux, 2019
C’est la municipalité de Los Angeles avec la collaboration de Santa Monica, San Jose et Austin, qui a produit le MDS. Mais désormais, il est utilisé par plus de 50 villes.

Et dans le détail ? Le MDS, c’est en quelque sorte une extension du GBFS, ou plutôt l’idée de le compléter pour faire face à de nouveaux défis. C’est donc un ensemble d’API, qui inclut notamment le GBFS. Le MDS permet aux municipalités et aux opérateurs de communiquer : il est bidirectionnel à l’inverse du GBFS. Les deux premières API sont basiques : l’une se nomme “provider”, et l’autre “agency”. D’un côté l’une sert au fournisseur de solution de mobilité à envoyer des données en temps réel sur ses véhicules aux autorités de transports (NB : on les appelle des “agences” aux Etats Unis). L’autre sert aux autorités de transports à demander des données historisées au fournisseur de solutions : état du véhicule, origine, destination… Une troisième API, baptisée “policy” regroupe les règles / la réglementation locale. Les fournisseurs de services l’interrogent pour savoir si ces dernières pourraient affecter le fonctionnement de leur service de mobilité ou pour en déterminer la conformité. 

Schéma fonctionnel du MDS
Schéma fonctionnel du MDS

Pour mieux comprendre la complémentarité entre les deux approches…

GBFS MDS
  • créée pour l’information en temps réel pour les utilisateurs de vélos partagés 
  • créée pour promouvoir la pratique du vélo partagé, 
  • en lecture seule, 
  • faite pour connaître la disponibilité et la localisation des vélos 
  • disponible en open data
  • spécifique aux micro mobilités 
  • ne donne pas accès aux informations sur les véhicules : maintenance, plus de batterie… 
  • ne donne pas accès à un historique d’usage, 
  • et uniquement bottom-up 
  • créée pour les autorités de transports, pour manager les services de free floating, 
  • propose des données en temps réel, et historisées en intégrant les trajets, ainsi que la disponibilité des véhicules, 
  • faite pour la régulation, la maintenance, le contrôle, la planification ou encore la sécurité, 
  • une extension du GBFS, 
  • open data uniquement pour la partie GBFS, 
  • données personnelles identifiables,
Pour “piloter” le MDS, les américains ont créé la Open Mobility Foundation (OMF), avec un “board” assez similaire à celui de la NABSA. L’objectif est, au delà du MDS, de créer des outils de dashboarding pour mieux piloter les offres partagées en tous genres, le tout en open source. 

Mais surtout, qu’en pensent les réutilisateurs ? Cela dépend quel est leur coeur de business, mais globalement, ils voient plutôt ce standard d’un bon oeil. En effet, la plupart des acteurs qui se positionnent sur le sujet veulent d’une part aider les autorités publiques à manager les nouveaux services “plus agiles” qui arrivent sur le marché. D’autre part, ils ont la volonté de pouvoir intégrer toutes les nouvelles formes de mobilité. Enfin, ils veulent être en mesure d’intégrer toutes les nouvelles fonctions offertes par ces nouvelles solutions. Le MDS répond donc d’autant plus à leur vision. 

Au final, que retenir ? D’abord que le MDS complète très bien le GBFS qui lui a été créé pour informer les utilisateurs. Il donne beaucoup plus de latitude quant aux données d’usage et permet un suivi et une régulation des offres, particulièrement en free floating. Néanmoins, malgré tous ses points positifs, il s’agit de le tester progressivement en France, pour savoir s’il s’adapte au contexte local. Il s’agit également, et c’est évidemment lié, de réfléchir aux meilleurs outils pour l’exploiter le plus finement possible. Enfin, ne nions pas le fait que pouvoir “identifier” facilement des données personnelles n’est pas sans poser de questions. 


L’analyse des usages : un sujet touchy !

Progressivement, on comprend qu’au delà de fournir des informations sur les infrastructures présentes, ou les services proposés, on entre progressivement dans un autre monde : celui des données d’usage. Ces dernières peuvent provenir de différentes sources : applications vélo (ex : Géovélo), applications de mobilité (ex Uber), API de micro mobilité (comme Fluctuo), compteurs sur le terrain, intelligence embarquée dans les OS (iOS et Androïd savent très bien détecter la mobilité active), applications de traceur (ex : le projet de la Fabrique des Mobilités). Mais à quoi peuvent-elles servir ? 

A la régulation et au management des offres tout d’abord. Comme l’indique l’étude de 6t intitulée Livre blanc de la mobilité en free-floating : pour une régulation efficace et pertinente des services : “la transition sociotechnique introduite par l’arrivée d’offres de mobilité en free-floating appelle une réinvention des mécanismes d’action publique afin de s’adapter à ce nouveau paradigme”. Le premier d’entre eux passe par l’utilisation par la collectivité des données collectées par les opérateurs. Elles peuvent être mobilisées pour assurer plusieurs types de régulations. Certaines a posteriori, comme par exemple l’équilibre territorial de l’offre de mobilité (entre certains quartiers peu pourvus et d’autres mieux adressés). D’autres “en temps réel”, comme la définition de zones ou il est interdit de stationner un véhicule. Les villes entre elles peuvent également tirer profit du partage de connaissances et d’expériences. 

Exemple d’espaces ou le stationnement des véhicules en free floating est accepté – Bordeaux, 2019

A la planification des politiques publiques. Cet enjeu est particulièrement fort. L’objectif est ici double : il s’agit tout d’abord de connaître l’intensité d’utilisation des offres afin d’adapter leur localisation ou encore le volume de vélos dans ou hors des stations. Il s’agit également de disposer d’un certain nombre d’indicateurs concernant les infrastructures afin de poursuivre, ajouter ou améliorer certains tronçons. Parmi ces indicateurs, citons en quelques uns particulièrement intéressants : 

  • la fréquentation : c’est un premier indicateur intéressant même si insuffisant en lui même. Il devient surtout pertinent lorsqu’il permet d’analyser un “avant-après” la mise en place d’une infrastructure cyclable. Mais par dessus tout, pour être utile, il doit faire appel à une masse critique de données pas toujours, ou plutôt pas encore présente.
Un des enjeux majeurs est de pouvoir mixer un maximum de sources possibles, issues du numérique mais aussi des compteurs présents sur la voirie. 
Exemple d’un compteur mis en place par la municipalité d’Eindhoven, aux Pays Bas
  • la vitesse moyenne : elle est un moyen d’observer la qualité de l’infrastructure cyclable, mais aussi son niveau d’utilisation. On peut notamment déduire des cas de congestion sur des pistes cyclables en observant des valeurs basses répétées à certains horaires et à certains points. Cela permet de déclencher dans un second temps une analyse plus précise sur le terrain. Elle permet également de comparer des tronçons entre eux, des villes entre elles ou enfin de positionner le vélo par rapport à d’autres modes, 
  • les temps d’arrêt : cet indicateur permet d’observer la continuité des infrastructures. C’est un élément particulièrement stratégique, car le confort d’un cycliste est aussi lié au nombre d’arrêts sur son trajet : moins il doit relancer son vélo, moins il fait d’efforts, et moins il transpire. Les adeptes du #velotaf se reconnaitront, 
  • les origines-destinations : l’idée est de pouvoir comprendre quels sont les générateurs de flux et les centres d’intérêts qui attirent massivement des flux vélo. Cela permet aussi de reconstituer les principaux flux entre quartiers et/ou communes. In fine, c’est une aide à la décision pour mieux positionner les grands axes d’un schéma cyclable, et pourquoi pas de calibrer le stationnement (un sujet majeur),
L'analyse des O/D les plus populaires, sur l'outil Strava Metro
L’analyse des O/D les plus populaires, sur l’outil Strava Metro
  • la qualité de la voirie : il est possible d’utiliser l’accéléromètre des smartphones, et sa capacité à retranscrire les vibrations pour analyser la qualité de la voirie. C’est une fonctionnalité qui pourrait être utilisée par les utilisateurs d’app et analysée par la municipalité, ou bien directement par les techniciens d’une ville, comme outil d’expertise cyclable. 

Toutes ces informations sont d’autant plus justes et précises qu’elles proviennent d’un volume suffisamment important de données. L’enjeu de l’ouverture et de la mutualisation de l’ensemble des données existantes est donc majeur. Mais il y a un autre enjeu particulièrement important en ce qui concerne les données d’usage : le respect de la vie privée.

La vie privée et l’anonymisation des données

Evidemment, à partir du moment ou l’on utilise les données d’usage, le sujet de la vie privée n’est jamais loin. Etant donnée leur composition, les données remontées par l’utilisation des différents services de micromobilité peuvent être considérées comme des données à caractère personnel (c’est notamment une problématique que l’on retrouve dans le cas de l’historisation des données liée au standard MDS). Couplées avec d’autres sources, elles peuvent donner une orientation quant aux différentes habitudes des utilisateurs. 

Le problème c’est qu’au sens strictement juridique il n’y a pas de propriété des données en tant que telles en vertu du droit européen. Conséquence : les opérateurs de mobilité peuvent décider qui reçoit les données, en accorder ou retirer l’accès, de sorte que, même s’ils ne sont pas légalement propriétaires des données, techniquement, ce sont bien eux qui les gèrent. C’est pour cela que la puissance publique, afin de s’assurer que ces données seront bien remontées, qualitatives et actualisées, va devoir conclure des accords de licence. Ces derniers permettront également de clarifier certains aspects comme l’open data, les standards, le niveau d’historique des données… Pour en savoir plus je vous conseille de lire l’excellent papier de ViaNova sur le sujet (en anglais). 

Mais au delà de la propriété des données, il en va de l’anonymisation de ces dernières. Rappelons que, selon la loi, “lorsque l’anonymisation est effective, le RGPD ne s’applique plus aux données ainsi anonymisées, celles-ci n’étant dès lors plus à caractère personnel.” Cela parait simple : on anonymise toutes les données de mobilité et le tour est joué ! Malheureusement, c’est bien plus compliqué. En effet, l’anonymisation doit être conçue plus comme un gradient que comme un absolu : “selon le cas d’utilisation, les données ne peuvent être entièrement anonymisées sans perdre réellement toute valeur utile. Les efforts de conformité devront plutôt se concentrer sur l’atteinte d’un niveau acceptable de regroupement tout en permettant à la puissance publique d’exploiter ces données ou encore à ces dernières d’être ouvertes”. Je ne suis pas spécialiste du droit, alors si vous souhaitez en savoir plus sur ce sujet tentaculaire ici, alors je vous conseille les éléments très pédagogiques publiés sur le site de la CNIL.

Que retenir de tout cela ? Que les données d’usage peuvent être un excellent outil de régulation mais aussi d’aide à la décision pour les politiques publiques de mobilité. Néanmoins, elles doivent d’une part être recueillies en masse (big data) pour avoir un intérêt réel et d’autre part, à l’inverse des données d’offres, elles possèdent un caractère sensible. Ainsi, la rédaction de “règles du jeu” claires et exhaustives est un enjeu fondamental, notamment au travers des licences.  


La donnée vélo, créatrice de nouveaux business ?

Avec tout ce grabuge dans le secteur, on peut se dire que des idées de business vont jaillir de partout ! Je vous parle ici de quelques initiatives intéressantes. Cela n’a aucune valeur exhaustive bien évidemment et vous trouverez sans aucun doute d’autres exemples en naviguant sur la toile. 

Strava : du sport, mais pas que ! C’est d’abord une application utilisée par les sportifs, majoritairement urbains. L’idée est toute simple : créer une communauté d’intérêt, notamment autour du vélo, et promouvoir des compétitions entre les membres.

Mais depuis quelques temps, l’application prend un autre virage : celui du big data. Plutôt logique : l’application compte 46 millions d’utilisateurs, dans 195 pays !

Alors forte de ses très nombreuses données d’usage, elle tente désormais au travers de son offre baptisée “Metro”, de constituer un dashboard pour les collectivités publiques. L’interface est simple et efficace, mais pour le moment, les données sont plutôt quantitatives, majoritairement basées sur la fréquentation des axes. Mais soyons clairs, il s’agit là d’une version démo, et nul doute que des évolutions sont déjà en cours. Soyez attentifs lors des prochaines mises à jour de l’application ! Pour tester vous même : la démo en ligne. 

Exemple du dashboard de Strava Metro

Géovélo : les fous de la donnée. Le créneau de la PME française, c’est avant tout l’expertise sur la donnée vélo. Comme nous l’indiquons au début de notre réflexion, ce sujet est primordial tant les besoins sont encore nombreux, et le travail à réaliser colossal. Grâce à son expertise, Géovélo intègre toutes les infrastructures cyclables des métropoles (et au delà) dans son application et guide les cyclistes dans leur ville ou lors de leurs trips à vélo.

Progressivement, la startup, avec la force de ses utilisateurs et contributeurs, propose également des outils de suivi et d’analyse pour aider les collectivités dans leurs projets cyclables.

Elle développe également des modules qui permettront d’analyser de manière très fine les voiries dédiées au vélo. En publiant toutes ses données sur Open Street Map, Géovélo fait partie des pionniers dans le domaine et un des plus importants contributeurs en France. Enfin, la PME est une plutôt un OVNI dans le monde du digital, puisqu’elle fait le choix d’une croissance lente (et donc risquée) en mettant en avant la qualité des données. Bravo ! 

Légende : un exemple d’analyse travaillé par Géovélo : les temps d’arrêt des cyclistes.
Légende : un exemple d’analyse travaillé par Géovélo : les temps d’arrêt des cyclistes.

Fluctuo : l’agrégateur malin. C’est une jeune startup française, qui a lancé une API de localisation en temps réel des trottinettes et vélos en free floating. Son idée est simple : via son outil baptisé Data Flow, elle souhaite proposer avec une seule API, toutes les solutions de mobilité partagée afin que des réutilisateurs comme Google Maps, Citymapper, ou encore des collectivités lançant des projet de Maas, puissent plus facilement intégrer l’ensemble des offres. Fluctuo agrège aujourd’hui les données de près de 100 opérateurs. C’est donc d’abord une proposition de valeur sur les capacités de leur propre API mutualisée.

Mais la startup veut aussi se servir des données qu’elle collecte(ra) pour construire un outil de compréhension du marché de la mobilité partagée.

En croisant les données de tous les opérateurs, l’idée est de voir comment ils se positionnent ou de réaliser des benchmarking entre villes. Avec cette activité, la start-up s’adresse à tous ceux qui veulent comprendre le marché : opérateurs de transports publics, acteurs de la smart city, municipalités… C’est malin et tellement dans l’air du temps ! 

ViaNova : le facilitateur et régulateur. En France toujours, un autre acteur a décidé de proposer des fonctions issues du standard MDS : ViaNova. La startup aide les villes à intégrer toutes les formes de mobilité partagées en leur donnant accès aux données de mobilité dont elles ont besoin. L’idée est de fournir une plateforme pour permettre aux municipalités de faciliter l’intégration, la comparaison et l’analyse de ces données, ainsi que de contrôler le respect de leurs exigences de conformité (tailles de flottes, règles de stationnement, zones de circulation autorisées ou non, etc.) par les opérateurs de mobilité ». ViaNova a joué le pragmatisme, puisqu’elle a adopté le standard MDS pour faire remonter les données. Les fonctions proposées sont les suivantes : suivi de l’activité de tous les services de mobilité en un seul endroit ; visualisation en temps réel des emplacements des véhicules dans la ville, ainsi que les déploiements des opérateurs ; suivi de l’évolution de la taille des flottes, de l’utilisation des services et du nombre de déplacements par les fournisseurs, réception d’alertes concernant les risques pour la sécurité.

Enfin, la startup veut répondre aux besoins de tous les acteurs de la mobilité, puisqu’elle permet d’importer des données en open data, et est compatible avec le MDS, GBDS, GTFS… et de nombreux autres formats dans une logique d’interopérabilité. Là, on dit banco ! 

Selon les sujets, le marché est plus ou moins mûr. Mais en réalité, cela est plutôt logique. Sur la thématique du calcul d’itinéraires, pour le moment il n’y en France que Géovélo qui veut bien “mettre les mains dans le cambouis”. La startup créé progressivement une des masses de donnée vélo ouverte les plus importantes d’Europe sur OpenStreetMap. Pour l’agrégation des offres, Fluctuo a saisit le bon créneau, au bon moment. Elle supporte la charge et l’intelligence, pour faciliter le travail aux acteurs du MaaS. Enfin, pour la régulation, les outils développés par ViaNova semblent bien adaptés au marché. Là ou le bas blesse, c’est encore pour l’analyse précise des flux car les données sont encore insuffisantes. Il y a donc un enjeu fort de pouvoir mobiliser plusieurs sources de données (avec un niveau d’anonymisation adapté)  afin de réaliser des analyses vraiment adaptées. En tous cas, la période que nous vivons est passionnante ! 


Dure tâche que d’essayer d’expliquer tout ce qui se passe dans le domaine du numérique et du vélo. Mais vous l’aurez compris, ça n’est que le début d’un très long défi qui, peu importe par quel bout on le prend, vise à terme à promouvoir, améliorer, développer la pratique de la mobilité douce et/ou active.

Alors que retenir de tout cela ? En ce qui concerne les données de voirie, l’enjeu est celui de la complétude, de la précision, et à ce titre, le duo vélo + OpenStreetMap est plus que pertinent. Bien cartographier les infrastructures pour le vélo est un sujet majeur, car il permettra aux utilisateurs de mieux préparer leurs itinéraires et de gagner en sécurité. Concernant les services, que l’on parle des véhicules avec ou sans station, l’enjeu est aujourd’hui de pouvoir délivrer une information en temps réel, qui intègre toutes les nouvelles fonctions des engins (niveau de charge par exemple), et ce pour toute les offres qui existent. Serveurs, préparez vous à chauffer ! Enfin, évidemment, dernier sujet que nous avons traité, la donnée d’usage va encore être au centre des discussions longtemps. Elle est essentielle pour la puissance publique pour comprendre et réguler, mais elle nécessite une approche fine pour répondre aux enjeux de respect de vie privée.

Globalement, le vélo pose encore une fois de véritables questions concernant l’open innovation, sujet qui vous le savez m’est très cher. Il est évident qu’ouvrir les données concernant les services est une étape intéressante, encore faut-il que les standards soient respectés. Intégrer les données de voirie sur OSM est aussi une démarche militante et intelligente, encore faut-il que les collectivités s’y mettent aussi pour actualiser et vérifier les données avec régularité. Enfin, mettre à disposition en open data les données d’usage aurait beaucoup de sens : cela permettrait de mutualiser de multiples sources et de posséder suffisamment de masse critique pour mener des analyses pertinentes. Cela nécessitera également bien sur des outils de suivi, d’analyse, de régulation : pourquoi ne pas suivre le sillon tracé par les américains, et inventer des outils en open source, mis à disposition de toutes les collectivités, et améliorés au quotidien ?

En attendant que cette révolution soit menée, il y a d’autres données sur le vélo qui vont être ouvertes et présentées le 6 Février 2020 “afin de créer de la science cyclable”, explique Olivier Schneider, le président de la FUB. Ce sont celles du baromètre cyclable 2019 ! Ces données montreront le travail qu’il reste à faire un peu partout pour porter une véritable politique vélo dans notre pays.

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