Changer le monde, changer nos villes… avec des vélos cargo !

Je me vois encore lorsque plus jeune, rédigeant mon premier Plan de Déplacement Urbain, j’écrivais que « la logistique urbaine était un sujet à traiter »… Dix ans après, je me vois couper la radio, las d’entendre des publicités pour le « black friday », tout en lisant dans la presse ces quelques chiffres : « la logistique urbaine représente 20% de la mobilité et 40% des émissions de gaz à effet de serre. Le e-commerce a augmenté de 20,8% en volume en 2016, et de 25,7% en 2017 ». Cela m’a interpelé et j’ai décidé d’en savoir plus sur le sujet. J’ai d’abord rencontré des acteurs du secteur, près de chez moi, sur la côte Basque. J’ai ensuite écouté quelques spécialistes du domaine qui accompagnent des initiatives partout dans le monde. Alors… en selle !

Etre coursier à vélo, plus qu’un métier

Ils ne sont que deux, certes, mais ils contribuent à faire changer les choses. Olivier et Raphael ont créé « La course », une petite entreprise de coursiers à vélo, dans l’agglomération bayonnaise. Pourquoi ? d’abord parce qu’ils sont passionnés de vélo et des « gros rouleurs ». Mais aussi et surtout parce qu’ils ont envie de faire évoluer la logistique, en mettant en avant des solutions « O émission ». C’est d’ailleurs pour cela que, malgré des charges à transporter pouvant aller jusqu’à 90 Kg, ils n’utilisent même pas de vélos électriques… tout dans les mollets !

Olivier et Raphael ont lancé leur business il y a un peu plus d’une année et aujourd’hui connaissent une jolie courbe de croissance. Mais ne vous méprenez pas, développer ce type d’activité reste relativement incertain. D’abord parce c’est une entreprise, qu’il s’agit de faire tourner. Il faut trouver des « clients récurrents ». Aujourd’hui, la Course travaille beaucoup en sous-traitance de DHL, une chance évidemment, mais aussi une situation qui peut s’avérer être un piège : dépendre d’un seul client est souvent risqué. Aussi parce que le métier est dur : rouler 80% de son temps, dans une agglomération très étendue, au climat capricieux, ça use ! 

Alors les deux potes ont leur stratégie pour durer. D’abord, chez eux, vous ne trouverez pas de sacs floqués au nom de startups venues de l’autre coté de l’atlantique et vous ne sentirez ni odeur de pizza ni de pad-thaï. Ici, les seules matières grasses que vous croiserez seront celles de dérailleurs des vélos cargo garés dans l’arrière boutique. Certes, le rendu est moins sexy sur Instagram, mais peu importe : la livraison à vélo sert une vocation, une conviction bien plus qu’une simple mode. Ensuite, c’est une relation de confiance sur le long terme qu’ils essayent de nouer avec leurs différents clients, en proposant des temps d’intervention performants et des tarifs qu’ils essayent de calibrer au mieux. Enfin, ils veulent montrer avant tout qu’ils sont les seuls à pouvoir accéder à un ville qui restreint l’accès à son centre ou restreint les heures de livraison pour les camions ! Parce qu’avec leurs vélos-cargo, ils peuvent se faufiler partout dans les centres villes pour livrer leurs marchandises. Les chiffres le prouvent : ils filent à plus de 20 km/h de moyenne sur l’ensemble de leurs livraisons ! A cette vitesse, pas de concurrence.

A venir dans les prochaines semaines, la vidéo du reportage complet. 

Un peu de soutien ne ferait pas de mal

Lorsque j’ai accompagné ces deux jeunes plein d’entrain, je me suis régulièrement posé la même question : comment se fait-il que ce type d’initiative ne soit pas plus accompagnée par la puissance publique ? En effet, depuis de nombreuses années, les pouvoirs publics subventionnent le transport de personnes, souvent via des délégations de service public avec des opérateurs privés (ex : Keolis, Transdev, Ratp Group…). Ils construisent, au travers de ses politiques publiques, des infrastructures propices au développement des réseaux de transports collectifs. Ils font cela pour promouvoir des solutions de mobilité plus vertueuses pour les voyageurs.

Alors pourquoi les pouvoirs publics ne subventionneraient-ils pas (ou bien n’aideraient-ils pas) la cyclo-logistique, puisqu’elle aussi a des effets vertueux sur l’environnement ?

Bien évidemment, ne nous arrêtons pas aux « subventions »… Il s’agit avant tout d’adapter les infrastructures, de manière à faire en sorte que ces « nouveaux engins », plus volumineux, puissent circuler sans difficultés. Cela passe notamment par des stationnement adaptés à ces véhicules « grand format »… Cela passe également par la création de centres de distribution, véritables hubs urbains, pensés pour la cyclo-logistique (ex : le projet Berlin Komodo). Mais globalement, il s’agit d’aller beaucoup plus loin et de « changer les règles du jeu ». Faire en sorte que demain, un vélo cargo puisse « stationner sur une place de livraison ». Faire en sorte que dans les marchés publics, la cyclo-logistique soit favorisée, par exemple en obligeant les opérateurs de trottinettes en free-floating sélectionnés dans le cadre d’un appel d’offre à réaliser leur redispatching avec des vélos adaptés. Faire en sorte de multiplier les aides financières, comme c’est déjà le cas dans certaines villes : 1.200€ d’aide à Paris pour l’achat d’un vélo cargo, 1.000€ à Munich, ou encore 3.000€ dans le Baden-Wurttemberg si l’achat est réalisé dans le cadre d’une activité entrepreneuriale. Enfin, faire en sorte de promouvoir la cyclo-logistique au sens plus large, comme par exemple lorsque l’on a besoin de déménager ou de déplacer des charges lourdes, avec des solutions de vélocargos en libre service, comme c’est le cas avec CarVelo2Go.

Pourquoi faire tout cela ? Parce que cela a du sens. La cyclo-logistique n’est pas une lubie de consultant, elle possède un gigantesque potentiel. Imaginez : d’un coté, un Nissan eNV200 (un des véhicules électriques les plus plébiscité par les pros) fait 1540 kg, développe 1090 kW et peut embarquer 700 kg. A coté de cela, un Radkutsche Musketier (vélo cargo très connu des spécialistes), avec ses 58 kg et 0,25 kW peut prendre en charge 300 kg pour un volume. Conclusion ? le Nissan pèse 27 fois plus que le vélo, et a besoin de 180 fois plus de puissance que ce dernier pour embarquer à peine 2,3 fois sa charge ! Dois-je ajouter quelque chose ?

Note : si le sujet vous intéresse, je vous conseille d’aller faire un tour du coté de chez Francisco Luciano dont j’ai eu la chance de suivre une conférence qui m’a en partie inspirée ce papier. 

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