Lorsque l’on évolue dans des domaines comme l’aménagement, l’urbanisme ou la mobilité, il y a quelques villes dans le monde que l’on connaît bien, car elles sont des modèles de développement plutôt intelligent. C’est le cas de municipalités comme Pontevedra, où la politique publique pro piéton est remarquable, et où la commune a créé le concept Metrominuto. Barcelone et ses superillas… C’est aussi le cas de Delft aux Pays-Bas, ville du woonerf. Mais c’est aussi le cas de Houten, où le développement urbain s’est fait autour d’une gare, en privilégiant les modes doux. Pourtant, je me méfie toujours un peu des modèles. Déjà parce que la plupart sont encore cités dans les manuels alors qu’ils datent des années 80. Aussi parce qu’entre les bouquins et la réalité, il y a souvent un monde. C’est pourquoi, je tente le plus possible d’aller observer la réalité du terrain… et c’est ce que j’ai encore une fois fait avec Houten… pour savoir si la ville était si cool que le disent les manuels. Immersion, à vélo bien sûr.
Remettre la gare au centre du village !
Quoi de mieux pour visiter Houten qu’arriver en train. Pour moi, il s’agissait d’un Intercity en provenance de ‘S Hertogenbosch. Plutôt facile d’arriver via ce mode de transport étant donnée la fréquence de desserte. Il faut dire que Houten est située sur un corridor plutôt bien desservi, à moins de 10 km de Utrecht Centraal, la gare la plus fréquentée du pays. Ajoutons que cette gare est, comme beaucoup de gares néerlandaises, très bien organisée. Elle a par ailleurs bénéficié d’un lifting technique et esthétique il y a une dizaine d’années. Aujourd’hui, les voies surplombent la ville, avec un bâtiment voyageur transparent et lumineux, relié à la rue par des escalators et ascenseurs très pratiques et bien intégrés.
Un parking vélo de plusieurs milliers de places, surveillé, vient ajouter la dernière touche sympa au dispositif. Pour ceux qui s’intéressent à l’architecture des gares, allez faire un tour sur cette page qui explique comment l’ancien bâtiment voyageurs a été déplacé pour laisser place au nouveau dispositif…
La commune a décidé dans son modèle de développement de faire de la gare le centre de la ville.
Bref, je m’éloigne du sujet. Notons qu’au-delà de Houten, il y a une seconde gare baptisée Houten Castellum, qui reproduit exactement le même schéma, mais au sud de la commune, j’y reviendrai. Que faut-il retenir ? Que la gare est très bien pensée, très adaptée aux mobilités douces, desservie par une offre très bien dimensionnée. Conséquence ? 44% des usagers du train se rendent à la gare à pied et 47% à vélo. Seconde conséquence (ou cause… on se pose toujours la question de l’oeuf et la poule), la commune a décidé dans son modèle de développement de faire de la gare le centre de la ville.
Quand les urbanistes se font plaisir
Et ce modèle où la gare est “au centre”, et où cette dernière guide le modèle de planification et de développement est particulièrement intéressant. C’est pour cela que la plupart des urbanistes connaissent et chérissent le “Houten model”. Sans faire une thèse sur le sujet (on n’a pas le temps hein…), retenez quelques principes de base :
- l’implantation de la ville se fait autour d’une (nouvelle) gare, le long d’une ligne ferroviaire existante avec un rayon d’environ 1,5 km autour de la gare (3 km de diamètre),
- la densité est forte autour de la gare (proche de 100 hab./ha) et décroissante à mesure que l’on s’écarte de cette dernière, associée à des types de logements différents (immeubles collectifs dans le centre, maisons en rez-de-chaussée plus loin) ; avec au final 50% de la population concentrée à moins de 400 m de la gare ;
- la démographie est limitée (un nombre d’habitants plafonné à 30 000 pour la première phase de développement, puis 50 000),
- la concentration des principales activités tertiaires et des équipements urbains se fait à proximité immédiate de la gare ;
- l’implantation des équipements de proximité (écoles primaires notamment) est répartie dans les différents quartiers ;
- un principe de conception où la dimension humaine, les espaces pour les enfants, et les aménagements pour les cyclistes sont rois.
Alors quand on arrive en 2023 dans la ville, quel est le constat ? En 2019, la commune de Houten a annoncé que le cap des 50 000 habitants avait été franchi mais en se baladant dans la ville, ça ne saute vraiment pas aux yeux. On ressent très bien les différentes strates de densification depuis la gare vers les extérieurs. A proximité de la gare “nouvelle version”, on observe une densité toute relative, avec bien souvent du collectif en R+3.
Mais très vite, après quelques coups de pédale, ce sont rapidement les logements individuels ou semi-collectifs qui prennent le pas. Un sentiment règne : la tranquillité et un calme vraiment incroyable.
En vélo, t’es vraiment le king
Il faut dire que lorsqu’on se balade sur une piste bidirectionnelle d’environ 5m de large, entourée de verdure et de maisons en brique, ce n’est vraiment pas le stress qui nous perturbe! Houten n’a pas été élue première ville cyclable des Pays-Bas par l’Union nationale des cyclistes en 2008, 2018 et 2019 pour rien ! Et là franchement, je n’ai rien à redire sur l’attribution de ce prix. Ecoutez plutôt…
A Houten, les cyclistes ont toujours la priorité. Lorsque le panneau “à la voiture rouge” est présent, l’automobile se doit de rester derrière le vélo et de rouler au pas. Pour le dire autrement, les voitures ne sont que des “invitées. D’ailleurs, rappelons qu’il n’y a pas de feux de circulation. Les établissements recevant du public sont tous à proximité immédiate d’une piste cyclable. Les écoles sont par exemple particulièrement bien placées, et d’ailleurs, à bien observer le nombre de places vélos, je confirme que les enfants ne viennent pas avec le SUV des parents ! Notons au passage que le dos d’âne vélo a été inventé à Houten 😉
Des pistes… il y en a beaucoup : huit grands tronçons dans la zone “pacifiée”. Elles ont été créées pour constituer un réseau intra rocade permettant de relier tous les quartiers résidentiels et zones d’activité ou scolaire de la manière la plus simple et directe possible. Pour trouver sa piste justement, il y a un dispositif que j’ai particulièrement adoré : chaque tronçon possède son numéro et son code couleur. Cette codification est reprise sur tous les lampadaires, aux croisements et endroits stratégiques, et associée à des QR codes. Quant aux destinations à l’extérieur de la ville, une signalétique “rouge” prend le relais. Franchement, pour se perdre il faut le vouloir.
De mon côté, j’ai choisi de tester la ligne 1, la grande perpendiculaire à la gare, d’abord direction nord. Après avoir traversé, sans jamais croiser de voiture, de nombreux espaces de vie vraiment chouette, je me suis retrouvé sur le “ring”, à savoir la fameuse rocade automobile qui entoure la ville. Et là, deux salles, deux ambiances. Mais là encore, la planification est vraiment maline, je vous explique…
Automobiliste, tu es invité, et c’est déjà pas mal…
Ici, pas de faux semblant, pas de dogmatisme. Oui, il y a des voitures à Houten. Franchement pas beaucoup, bien souvent garées plus qu’en circulation, et globalement pas très rapides. Et cela s’explique. L’automobile n’a pas été complètement ignorée dans le design urbain de Houten. La structure du trafic facilite principalement le trafic régional et suprarégional.
La circulation automobile est poussée vers l’extérieur, plus spécifiquement vers une rocade, dite Rondweg (qui délimite l’urbanisation permise), puis acheminée vers le réseau routier et autoroutier. Lorsque l’on se déplace sur la rocade (14 km de long) un quartier est accessible par sortie, le nom de la rue faisant référence à la sortie.
A l’intérieur de la limite créée par la rocade, le 30 km/h est généralisé et les tracés de voiries créent un véritable labyrinthe pour les voitures. Le stationnement est quant à lui limité à son strict minimum. Rappelons également que le vélo a la priorité absolue. Conséquence ? Le transit routier est impossible dans la ville, la circulation automobile très compliquée, et à l’usage, cela se ressent vraiment. C’est d’un calme assez incroyable.
Entre intérieur et extérieur, là aussi c’est assez bluffant.. car d’une part, là où les pistes cyclables croisent la circulation automobile, les cyclistes ont la priorité. D’autre part, des tunnels et des ponts pour vélos ont été construits pour traverser la rocade en toute sécurité.
Enfin, même sortis de la rocade, nous avons emprunté de nombreux chaussidoux où honnêtement, nous nous sommes toujours sentis en sécurité.
Alors que retenir de cette chouette expérience ? Que franchement le modèle fonctionne. A vélo, le navigation est fluide, sécurisée, calme et agréable, peu importe où l’on se trouve. La circulation automobile est, à l’intérieur de la rocade, vraiment limitée. Lorsque l’on doit cohabiter avec une voiture, le comportement des automobilistes est très sain, et en réalité, il est vraiment rare de se faire doubler. Alors évidemment, on ne peut pas développer ce modèle de développement partout. La proximité d’Utrecht crée des conditions favorables. La présence d’un réseau ferroviaire performant aussi. L’habitude du vélo rend les choses naturelles. Mais au final, c’est quand même vraiment bluffant, il faut le dire. D’ailleurs, le modèle a été clairement copié-collé pour le développement du sud avec un Houten Zuid développé de manière similaire autour de la gare de Houten Castellum.