Portugal : A Lisbonne, une méthode singulière pour les mobilités actives

En 2021, quelle capitale européenne peut encore passer à côté du sujet vélo, et plus largement des mobilités douces ? Probablement aucune. Certaines sont devenues de véritables starlettes et n’hésitent pas à mettre en avant leur méthode comme de véritable success story : Copenhague, Amsterdam, et plus récemment Paris sont sûrement les plus connues. Mais derrière ces capitales désormais habituées aux premières places du célèbre Copenhagenize Index, il y a d’autres villes qui montent petit à petit les marches, à leur rythme, mais qui ne manquent ni d’ambition ni d’originalité pour promouvoir la petite reine. Lisbonne fait partie de celles-la. Alors que la capitale portugaise accueillait cette année l’édition 2021 de Velocity, l’occasion était trop belle d’aller scruter l’évolution de ce que les portugais nomment avec tellement de poésie “mobilidade suave” et de s’entretenir avec certains des stratèges de la “câmara municipal”. 

La pente est rude 

Lorsque l’on débarque sur la fameuse Praça do Comércio, dans la partie basse de la ville, à proximité du Tage, le moins que l’on puisse dire c’est que le réflexe vélo ne saute pas aux yeux : entre le revêtement pavé et les rails du tramway, seuls le plus motivés se laisseront tenter par l’idée. Les premiers pourcentages de dénivelé positif qui se font rapidement sentir pour ceux qui souhaitent s’aventurer dans les quartiers très touristiques de l’Alfama et du Bairro Alto découragent sûrement les derniers motivés. Pourtant, comme la municipalité aime à le rappeler dans son très réussi guide “Como Pedala Lisboa”, 73% des rues de Lisbonne sont planes ou présentent un faible dénivelé ! Mais rien à faire, la première impression reste souvent tenace. Et c’est peut être pour cette raison que jusqu’à présent, le développement de la politique cyclable à Lisbonne a été plutôt lent comparé à de nombreuses autres capitales européennes. 

Source : Julien de Labaca

Mais observons la réalité de plus près. Le superbe travail réalisé par Rosa Félix montre que 2009 a marqué un tournant important dans le développement des infrastructures cyclables à Lisboa. Cette année-là, le réseau de pistes s’est fortement développé, mais dans une logique de loisirs. Il a fallu attendre 2017 pour ressentir de nouveau un frémissement… C’est à ce moment là que le premier véritable réseau “utilitaire” est né, traversant des zones plus peuplées. Aujourd’hui, difficile de trouver des statistiques vraiment stabilisées, mais il semble que le chiffre de 120 km de voies cyclables (dont un peu moins de 90 séparées du trafic automobile) soit raisonnable. Ce dernier pourrait être porté à 150 km une fois les travaux actuels terminés, et à 200 km à moyen terme (sur les 1700 km de voirie que compte la municipalité). 

Source : Julien de Labaca

Il a fallu attendre 2017 pour ressentir de nouveau un frémissement… C’est à ce moment là que le premier véritable réseau “utilitaire” est né, traversant des zones plus peuplées.

Source : Como Pedala Lisboa

Les mauvaises langues compareront Lisbonne à Paris. Les deux capitales possèdent un linéaire de voirie équivalent, mais du côté des français, 1.000 km de voiries cyclables ont été déployées, dont plusieurs centaines de kilomètres séparées de la circulation. Néanmoins, la comparaison s’arrête là : la configuration des deux capitales est très différente et la ville aux 7 collines possède des contraintes qui ne laissent pas de place au miracle. 

Gira : le VLS made in Portugal…. 

Pour renforcer la politique d’infrastructures, les outils comme le VLS sont toujours d’une grande aide. Celui de Lisbonne (Gira) a mis du temps à arriver, et tout autant à s’électrifier. Depuis ses débuts en 2016, le chemin a été semé d’embûches. On pensait que seuls les parisiens étaient capables de scénarios dignes des meilleures comédies avec les épisodes Smoove/Vélib, mais les portugais ont aussi eu droit à leur(s) épisode(s). 

Ca partait pourtant bien : dès le début du projet, la municipalité avait souhaité piloter son dispositif de VLS via la société publique qui gère le stationnement : Emel. Cette dernière assurant la gestion administrative et financière du dispositif, ainsi que le pilotage et le suivi au quotidien. Du côté de la fourniture des vélos, des stations et de leur maintenance, un contrat avait été attribué à Órbita, un fabricant portugais de vélos… Mais rien ne s’est passé comme prévu, si bien qu’in fine, Emel a résilié le contrat. Passons les communiqués de presse et les échanges piquants concernant les pénalités… le plus important, c’est que depuis cet évènement, plusieurs appels d’offres ont été lancés afin de permettre au service de se poursuivre son déploiement, le tout avec une grande majorité de vélos 100% électriques. Emel a également décidé de reprendre en direct la gestion de la maintenance des vélos, en sus de leur supervision.

Mais au delà de ces cafouillages, un autre élément pourrait ralentir le déploiement des Gira sur le long terme : les vélos qui viennent progressivement s’ajouter à ceux déjà présents dans le réseau peuvent avoir un aspect et des accessoires différents, en revanche, ils doivent conserver le système d’ancrage aux stations existant. Singulier comme approche ! Il est facile d’imaginer la tête des prestataires qui souhaitent répondre au marché, avec des vélos de plus en plus standardisés… 

Source : Julien de Labaca

Et sur le terrain, quelle réalité ? dispatching parfois hasardeux, stations encore insuffisantes, app perfectible… ça n’est pas encore la panacée. Pourtant, le Gira compte bel et bien dans le paysage et est un véritable outil au service de la politique publique vélo de la municipalité. Si bien qu’avant la pandémie, l’Instituto Superior Técnico de Lisbonne indiquait que le système de VLS représentait déjà plus d’⅓ du trafic vélo observé dans la ville. Mieux, il semble que son utilisation colle au déploiement des infrastructures initié par la municipalité. Encourageant. 

Le Gira compte bel et bien dans le paysage et est un véritable outil au service de la politique publique vélo de la municipalité.

Désormais, il n’y a plus qu’à espérer que l’électrification progressive de Gira dope les chiffres… Mais vue la configuration de la ville, cela serait assez logique. D’ailleurs, le marché du vélo personnel donne une bonne idée de la dynamique en cours : la proportion de VAE est passée de 5 % en 2018 à 17,5 % en 2020 et ces derniers représentaient près d’⅓ des vélos dans certains quartiers de la ville. 

Les “trotinetas”, une aide précieuse 

Elles aussi sont arrivées aux alentours de 2016-2017… décidément une grande année pour la mobilité douce à Lisbonne. Et au début, c’était un peu l’inconnue pour tout le monde. Mais très rapidement, la municipalité a décidé de faire des trottinettes un ingrédient de l’intermodalité avec les transports publics. Elle a aussi compris que les trottinettes pourraient sûrement être de bonnes alliées du VLS pour atteindre ses objectifs de décarbonation ! 

Source : Julien de Labaca

La municipalité a aussi compris que les trottinettes pourraient sûrement être de bonnes alliées du VLS pour atteindre ses objectifs de décarbonation ! 

Un accueil chaleureux donc, mais loin d’être “open bar”… Lisbonne a mis en œuvre une régulation “douce” (suave) : une approche ouverte afin que les acteurs se positionnent sur le marché, mais un contrôle et une maîtrise de l’offre, notamment via le numérique et les données. Et là encore, la méthode est singulière. La municipalité a développé son propre système de gestion des données de micro-mobilité: «MiMoGG – Micro-Mobility Geo Gatherer», basé sur une architecture modulaire et entièrement développée à l’aide de solutions open source. Cette solution, lancée il y a maintenant presque 3 ans, a permis à la ville d’adapter progressivement sa stratégie de régulation.

Elle a commencé par analyser, en temps réel et à posteriori (données historiques) le comportement des différents opérateurs présents, et l’utilisation des près de 6.000 trottinettes. Essentiel pour mieux comprendre la densité de l’offre et sa répartition. La seconde phase consistait à délimiter des zones ou le stationnement des trott’ était interdit, en utilisant la technologie du geofencing auprès des opérateurs. Enfin, la ville a lancé l’expérimentation de zones de stationnement virtuelles “virtual docks”. Dans la foulée, les opérateurs se sont rapidement prêté au jeu, puisque Bird, par exemple, annonçait dès la fin août “l’obligation de garer les trottinettes dans les stationnements adaptés, sous peine de de payer jusqu’à ce que les utilisateurs trouvent le bon endroit pour laisser leur véhicule.” Une stratégie qui semble progressivement fonctionner puisque la distance moyenne entre le stationnement et les virtuals docks ne cesse de baisser [cf. dernière slide] ! 

Une politique publique incarnée 

La politique publique concernant les mobilités douces à Lisbonne est au premier abord plutôt lente. En fouillant un peu, elle s’avère en réalité tout aussi singulière que l’est la ville en question. En échangeant avec les décideurs, on découvre qu’elle est aussi et surtout incarnée. C’est en effet rare de tomber sur des profils aussi qualifiés que le trio qui mène la danse sur le sujet à Lisbonne. 

L’adjoint au Maire en charge des mobilités, tout d’abord, Miguel Gaspar est ce que l’on pourrait appeler un élu-technicien. Ingénieur civil, il est titulaire d’un Master en transport, spécialité “Parking Management in Urban Areas”. On comprend mieux le système Gira… Il a également travaillé dans le domaine du conseil en mobilité, et au sein du Secrétariat d’Etat chargé de l’environnement, où il a activement participé à la régulation des filières innovantes de mobilité et à la mise en œuvre des politiques de décentralisation des compétences. On comprend mieux la régulation des trottinettes…

C’est rare de tomber sur des profils aussi qualifiés que le trio qui mène la danse sur le sujet “mobilité douce” à Lisbonne. 

À ses côtés, au sein du cabinet, un autre ingénieur civil, passé lui aussi par l’IST de Lisboa : Vasco Mora. Biberonné au consulting puis à la gestion de trafic, il a surtout passé plusieurs années au sein d’Emel, en charge notamment du SIG et du “parking management”. On comprend d’autant plus les outils développés côté régulation de l’espace public. Surtout que le conseiller du cabinet se forme aussi au développement informatique pendant son temps libre. Un profil pointu, très technique pour un cabinet. Un homme qui selon ses propres mots “préfère penser process que projet… penser le coup d’après et les problématiques de déploiement”. Ce duo technique est complété par un communiquant chevronné, qui baigne depuis bien longtemps dans le milieu du vélo : João Camolas. La boucle et bouclée. 

Joli sur le papier… mais dans la réalité ? Lorsqu’on interroge la team sur pourquoi la fonction vélo n’est pas activée au sein de Google Maps, la réponse fuse “c’est prévu pour la fin Septembre, nous discutons avec Google”. Comment fonctionne la régulation des trottinettes ? Ils abordent sans broncher les standards de données GBFS, MDS, et parlent historisation des données et suivi temps réel. L’adjoint au Maire lui même n’hésite pas à mouiller la chemise sur la stratégie de monitoring des données vélo à l’échelle de la ville, évoquant les outils déjà déployés, la stratégie d’open market de la capitale portugaise tout en maintenant des positions affirmées “nous ne payerons pas telle ou telle digital company, mais leur mettront à disposition des données de haut niveau”. Étonnant, déconcertant, mais finalement tellement logique… 

Après avoir roulé à vélo à Lisbonne, utilisé plusieurs Gira, observé les trottinettes dans les rues, l’intermodalité dans les gares, les embarcadères, et échangé avec les vélocistes, on se dit que la situation n’est pas encore géniale pour un cycliste. Néanmoins, il est évident qu’une dynamique est bel et bien présente… et pérenne. Au delà des dispositifs déjà déployés, non traitées dans cet article (aide à l’achat, vélo école…) le maire sortant affiche des mesures fortes pour le prochain mandat. Parmi elles, évidemment, l’extension du réseau cyclable mais aussi sa continuité avec toutes les municipalités voisines, ainsi que l’extension du service Gira à ces dernières. De nouveaux stationnement couverts et sécurisés également. Une signalisation directionnelle sur l’ensemble du réseau. Enfin, un dispositif Gira intégré dans le système billettique couplé aux transports publics. Il y a donc fort à parier que si le 26 Septembre, l’équipe actuelle se maintient, le développement des mobilités douces à Lisbonne sera d’autant plus sur la bonne pente. 

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