Vienne est une ville habituée des classements. Principal centre culturel, politique et économique de l’Autriche, elle fut jusqu’au début du 20ème siècle la ville germanique n°1 avant d’être dépassée par Berlin. Elle est aussi la 6e plus grande ville de l’Union européenne. Elle est enfin la reine des podiums quand il s’agit de classer les villes les plus agréables au monde, puisqu’elle a raflé ce titre quatre fois ces cinq dernières années. Et dans le domaine des transports alors ? Vienne a une singularité : alors que la plupart des villes européennes mettent le paquet et communiquent sur une mobilité qui finalement est plutôt individuelle (vélo, trottinette, autopartage, taxi autonome…), Vienne a gardé une philosophie très axée sur le transport collectif. Et cela ne l’empêche clairement pas d’innover. Retour sur quelques initiatives marquantes.
Sommaire
Le collectif… dès l’arrivée !
Que l’on arrive en train ou en avion dans la ville, on comprend très vite ce que signifie le transport collectif.
Nightjet, la référence du train de nuit en Europe
Si on a la chance d’arriver en Nighjet, on comprend pourquoi toute la presse spécialisée s’est émoustillée, à juste titre, lorsque ÖBB, l’opérateur ferroviaire national, a annoncé la montée en puissance de son offre, et en Décembre 2021, le premier train de nuit Vienne-Paris. Lorsque l’on monte à bord, on redécouvre ce qu’est le ferroviaire au sens positif du terme. Et pour avoir eu l’occasion d’en discuter avec les représentants de la marque lors du World Passenger Festival, j’ai compris a quel point cette offre était importante pour l’opérateur national, ÖBB, qui souhaite en faire une référence mondiale. L’innovation principale ? La qualité de service ! Et parce que les images parlent plus que les mots, je vous encourage à visualiser la vidéo de la nouvelle version du train Nighjet, qui était justement présentée à Vienne lors de mon passage. Inspirant.
CAT, surement le meilleur shuttle aéroport-centre ville d’Europe
Ne soyez pas jaloux, parce que même si vous arrivez en avion, vous aurez aussi le droit de bénéficier de l’une des meilleures liaisons aéroport-centre ville d’Europe. En effet, à Vienne, CAT (une JV entre le gestionnaire de l’aéroport Flughafen Wien AG et l’opérateur ferroviaire ÖBB, encore lui!) a d’abord travaillé son offre : un train, toutes les 30 minutes, entre 5:30 et 23:30, tous les jours de l’année, et un temps de trajet de 16 minutes pour relier l’aéroport à l’hypercentre de la ville. Mais surtout, il a packagé cette dernière avec des services très bien pensés. Ce qui m’a le plus marqué c’est la signalétique et le jalonnement entre l’aéroport et la porte du train : impossible de louper CAT et impossible de se perdre. Coté titre de transport, une tarification simple à comprendre, bien positionnée vis à vis du taxi (notamment grâce à l’accès gratuit pour les enfants), et des titres très faciles à acheter, physiquement ou en ligne. Coté matériel roulant, c’est… juste comme il faut… Mais le plus bluffant, c’est lorsque l’on prend CAT dans le sens ville vers aéroport : une sorte de « Salon Grand Voyageur » a été créé dans Wien Mitte (un énorme mall, dans l’hypercentre de Vienne, desservi par deux des plus importantes lignes de U-Bahn de la ville). Il propose tout le confort auquel on aimerait avoir accès lorsque l’on attend un train longue distance : fauteuils, tables, prises, wifi, distributeurs de nourriture et de boissons, bornes pour acheter son titre de transport, présence humaine, presse du jour gratuite, info temps réel etc… Le clou du spectacle intervient lorsque l’on propose au voyageur (qui a la chance d’utiliser une des 8 compagnies ayant un partenariat avec CAT) d’enregistrer son bagage directement depuis l’espace CAT. Pour le dire autrement, lorsque vous montez dans le train, votre bagage lui, est déjà en route pour l’aéroport, et embarquera tranquillement sur votre vol. Je n’avais jamais vu cela auparavant. Encore une fois, les images parlent mieux que les mots…
Wiener Linien : l’efficacité du collectif avant tout
Une fois sur place, le réseau de transports collectifs est bien présent, efficace, et très dense. Je ne vais pas vous le décrire, ca serait bien trop long… Juste vous rappeler deux éléments majeurs. D’une part, Vienne a su garder son réseau de tramway (Bim), quand les autres capitales européennes misaient sur la voiture. D’autre part, un métro est venu compléter ce réseau de dernier à partir des années 1970. Résultat : 38% de part modale pour les transports collectifs et un des réseaux les plus dense d’Europe. Mais ce qui m’a particulièrement intéressé, ça n’est pas l’offre en elle-même, parce qu’honnêtement, d’autres capitales européennes sont aussi bien placées dans le domaine. C’est plutôt la capacité de l’opérateur, Wiener Lieben, à innover sans en avoir l’air. Des exemples ?
Ne m’appelez pas MaaS… mais…
Lorsque vous jetez un coup d’oeil aux stations de métro ou encore aux arrêts bus, ça n’est pas la modernité qui vous saute aux yeux.
Ca c’est plutôt le rôle de WienMobil. L’application de l’opérateur urbain lancée en 2017 intègre toute l’offre de transport public, et ce totalement en temps réel. Elle permet aussi l’achat de titres de transport. Enfin, elle intègre l’information sur les vélos en libre service ainsi que les taxis. Sa philosophie, c’est d’indiquer toute l’offre disponible en temps réel à 5 ou 10 minutes à pieds. Quand l’offre est massive et la donnée qualitative, cela donne une application utile et efficace.
L’app a aussi la belle vie parce que l’offre tarifaire est simple et pragmatique. A l’image du CityPass, ou encore du Annual Pass. Ce dernier est basique : pour 365€ par an, soit 1€ par jour, il donne accès à tous les transports publics de la zone centrale de Vienne : métro, tramway, bus (à l’exception des lignes spéciales de bus express), trains de banlieue (ÖBB) et Badner Bahn. Depuis cette année, il existe d’ailleurs dans une version totalement digitale, intégrée à l’app ! Ce pass, il existe depuis 2012, et il est particulièrement connu parce que trois ans après avoir été lancé, la ville annonçait que le nombre d’abonnements avait dépassé celui des véhicules individuels. Et puis, il y a évidemment aussi le fameux KlimaTicket… j’en parle plus longuement dans une interview dédiée.
Collectif et intégré
Au delà du digital, le réseau de transports est plébiscité car efficace. Et parfois, il compte sur les autres modes pour conforter son efficacité. Ainsi, il est intéressant d’observer le développement récent de stations / hubs pour de mobilité partagée qui viennent compléter le réseau structurant. Wiener Linien a en effet déployé des « stations » un peu partout dans la ville. Ce sont des lieux, facilement repérables (physiquement et via l’app), souvent proches des stations de métro/bus/tram, qui proposent, en fonction de la configuration :
👉 🚘 voitures partagées,
👉 🚲 vélos en libre service,
👉 🅿️ stationnement pour les micro mobilités,
👉 ⚒️ outils et gonflage pour les vélos,
👉 🔌 bornes de recharge pour VE (…).
Une approche plutôt intéressante pour mutualiser, rendre lisibles et visibles les offres, mais aussi créer une intermodalité avec les modes lourds.
Collectif : du transport au logement
La stratégie transport mise sur le collectif, c’est assez clair, et ce depuis longtemps déjà. L’offre est dense et accessible au plus grand nombre. Une dynamique que l’on retrouve finalement en miroir du coté du logement.
Du logement social(iste)
Près de 60% des viennois vivent dans des logements sociaux, en grande partie collectifs. Cela se voit, lorsque l’on se promène dans la ville : on remarque régulièrement des plaques indiquant « Gemeindewohnungen » (logements communaux). Cette politique du logement social fait la fierté de la municipalité, parce que la ville, rappelons le, est comme un îlot rouge dans un pays majoritairement conservateur. Le SPÖ (Parti social-démocrate d’Autriche) la gouverne presque sans interruption depuis 1919 et le logement social constitue la pierre angulaire de sa politique. Et visiblement, cette différence (60% de logements sociaux à Vienne contre 12% dans les autres villes d’Autriche) est appréciée par les habitants, puisqu’en 2020, ils ont investi une nouvelle fois le maire socialiste et une assemblée municipale ou les verts sont la troisième force politique. Une bonne occasion de lancer une nouvelle vague de construction de logements sociaux, dans un contexte de pression démographique importante.
Aux nouveaux quartiers exemplaires
Au delà de cette politique volontariste, particulièrement visible dans le centre ville, la municipalité lance également des projets urbains assez ambitieux aux portes de celui-ci. De nouveaux quartiers sortent progressivement de terre, avec toujours cette ambition de produire des logements collectifs de qualité, et accessibles au plus grand nombre. Certains ont été primés plusieurs fois dans des concours d’urbanisme.
Seestadt Aspern est un de ces quartier. Situé à environ 7 km du centre-ville de Vienne, il est actuellement l’un des plus grands projets de développement urbain en Europe avec plus de 20 000 habitants attendus d’ici 2028, et autant d’emplois. Et ou se cache l’innovation ? Dans le modèle de développement poussé ici : l’idée est de limiter les usages purement résidentiels ou commerciaux, au profit de plus de mixité fonctionnelle. Le tout avec des gestes urbains et architecturaux les plus diversifiés possibles, afin d’éviter le coté trop lisse, souvent observé dans ces quartiers. Dans la manière de concevoir les bâtiments, avec par exemple, le HoHo Wien, le plus haut gratte-ciel du monde… sur structure bois.
Et coté mobilité ? Une zone très bien desservie par le U-Bah, avec un temps de trajet vers le centre très raisonnable (24 minutes environ). Pour se déplacer dans la zone, et afin de répondre à l’objectif de 40% de part modale en mobilités actives, on fait place nette aux piétons et aux vélos. Avec des espaces publics très restrictifs pour l’automobile.
Via une offre de stationnement vélo confortable et massive. Et par des services de location comme le SeestadtFLOTTE, qui propose une flotte de plus de 50 vélos, cargo inside !
Cette philosophie, on la retrouve dans des quartiers comme Viertel Zwei.
Vienne a donc cette spécificité des capitales de l’Est, qui ont su garder leurs réseaux de transports collectifs. Sa particularité, c’est qu’elle a su capitaliser sur ce dernier en proposant des innovations de bon sens et en faisant des autres modes des alliés. Pouvoir habiter dans des zones attractives, et se déplacer partout pour 1€ par jour, avec une offre fréquente, efficace et bien intégrée… c’est une réalité pour les viennois. Une preuve qu’innover en 2023, c’est peut être revenir aux basiques.