Innovation ouverte et mobilité : il est temps d’entrer dans une nouvelle ère !

La loi pour une République Numérique (appelée aussi loi Lemaire) aura cinq ans cette année. Fruit d’un processus de co-construction inédit et totalement transparent, elle a été produite au moyen d’une plateforme en ligne, au plus près des citoyens. C’est Axelle Lemaire elle-même qui (lors de cette seconde exploration Navitia Explore & Mix) nous rappelle que cette loi composait l’une des dimensions de la feuille de route de la France en faveur du “Gouvernement ouvert”, alors que le pays présidait “l’Open Government Partnership” (OGP – Partenariat pour un Gouvernement Ouvert) en 2016. Cette démarche avait été initiée par Barack Obama aux Etats Unis, Dilma Roussef au Brésil et Gordon Brown au Royaume-Uni. Ces dirigeants avaient souhaité lancer une plateforme multipartite associant gouvernements, acteurs privés et associations autour d’un agenda d’ouverture de l’action, de l’information et des données publiques. On parlait à l’époque d’enjeux politiques, démocratiques et de transparence.

Et la mobilité dans tout cela ? C’est un secteur qui rapidement a su répondre aux enjeux d’ouverture et de transparence. « C’était presque facile » s’accordent plusieurs experts. Les transporteurs et organisateurs de la mobilité ont un peu bloqué, mais les informations concernant les différentes offres étaient peu sensibles, comparées par exemple à l’ouverture de données concernant les élections, les salaires des parlementaires, la santé ou encore les marchés publics. Et les usages attendus de l’ouverture des données de mobilité étaient bien identifiés, déjà en émergence. Cela explique que les transports aient fait l’objet d’une appropriation sectorielle et d’une réglementation par les pouvoirs publics (par des lois et décrets spécifiques) qui aujourd’hui semblent assez exhaustives. 

Alors que plusieurs annonces majeures viennent d’être faites par le Gouvernement Castex, que la Loi d’Orientation des Mobilités (LOM) distille petit à petit ses nouveaux décrets concernant l’open data dans les transports et que la Directive ITS (Intelligent Transport Systems) est en cours de révision à Bruxelles, il est temps de faire un point sur une dizaine d’années d’innovation ouverte dans le domaine des transports. Coup d’œil dans le rétro !

Oui ! L’ouverture est vertueuse et éthique 

Axelle Lemaire continue encore aujourd’hui, au sein du cabinet Roland Berger, de s’étonner positivement de l’effet de l’open data pour les entreprises. L’ouverture et le partage de données permettent de développer de nouveaux services numériques. Les partenaires technologiques avec lesquelles elle travaille le lui confirment : Dataiku s’alimente en grande partie grâce à l’open data ; Talentsoft (ressources humaines) tout autant ; idem pour Datakalab, qui traite de vision assistée par ordinateur, ou encore Sidetrade. C’est un élément essentiel de la vie économique. Et paradoxalement, elle indique que « la crise sanitaire nous a aidés, car elle a été la meilleure CDO (Chief Data Officer) du siècle ». La situation a permis de comprendre, avec des exemples comme CovidTracker ou ViteMadose (créés par Guillaume Rozier), ce que l’on pouvait faire concrètement grâce à l’open data. Quelle meilleure publicité que celle d’une donnée sanitaire de suivi de l’évolution pandémique mise à disposition des pouvoirs publics, des journalistes, des data scientists… La crise sanitaire fut une excellente illustration du pouvoir de l’intelligence collective et des communs, de ce que peut être l’entrepreneuriat d’intérêt général. Elle a montré comment l’open data permet de rendre les acteurs publics plus redevables et responsables vis-à -vis des citoyens. 

« La crise sanitaire fut une excellente illustration du pouvoir de l’intelligence collective et des communs. » Axelle Lemaire. 

Mais il ne s’agit pas de s’arrêter uniquement sur l’ouverture des données. La loi était beaucoup plus large. Elle parlait de collaboration, de partage, d’ouverture, d”inclusion et bien au-delà, elle abordait : 

  • l’open access (publications scientifiques), 
  • le Text and Data Mining, 
  • l’encouragement à utiliser des solutions open source dans les marchés publics, 
  • l’ouverture des algorithmes publics (on en a entendu parler avec Parcours Sup), 
  • l’open data sectoriel, 
  • l’open data des décisions de justice,
  • la possibilité pour les administrations de faire de l’appariement de données (elles n’ont plus le droit de vendre leurs jeux de données entre elles),
  • les données d’intérêt général,
  • l’accessibilité aux personnes en situation de handicap,
  • le service public de la donnée et les fonctions associées,
  • les communs numériques.

Quand Ishan Bhojwani est arrivé au sein de Beta.gouv il y a maintenant quatre ans, c’était au moment de la parution des décrets de la Loi Lemaire. « Et ça m’a beaucoup aidé », nous confie-t-il. Celui qui dirige désormais les opérations de Beta.gouv rappelle ce qui pourrait paraître une évidence : « je dirige un service qui au sein de l’Etat aide les ministères à créer des services numériques d’intérêt général, et pour cela, nous avons besoin de données ouvertes ! ». Le processus d’ouverture a facilité la création d’une multitude de services.

« Pour créer des services numériques d’intérêt général, nous avons besoin de données ouvertes ! » Ishan Bhojwani 

Deux exemples retiennent notre attention. Évidemment celui de la Startup d’État transport.data.gouv.fr. Lancée en 2017, son objectif était de créer des services numériques, applications, calculs d’itinéraires (…) pour les citoyens, le tout à partir de données ouvertes et exposées sur un point d’accès national (le PAN). Il y a quatre ans, la plupart des territoires ne bénéficiaient pas de la présence de services numériques grand public comme Mappy, Citymapper, Google Maps, TransitApp, MyBus (…). Elles fonctionnaient à Paris, Lyon mais sûrement pas à Angers et Châteauroux ! Aujourd’hui l’ensemble des agglomérations sont en capacité de publier des données, et les ré-utilisateurs peuvent s’en servir pour produire des applications à destination des citoyens. Le mouvement est massif, puisque plusieurs centaines de jeux de données sont ouverts, et plus de 30 ré-utilisateurs s’en servent régulièrement. Transport.data.gouv.fr a été récemment intégrée au sein du ministère des Transports, avec un agent public et une équipe. C’est donc aujourd’hui une infrastructure numérique du ministère : « avant les infrastructures de ce ministère, c’était de ponts et des routes, désormais ce sont aussi des services numériques » ajoute Ishan [à ce sujet, n’hésitez pas à lire l’excellent papier sur le sujet, rédigé par Ishan]. Ajoutons qu’aujourd’hui Transport.Data.Gouv.fr fait partie des références européennes en termes d’ouverture, d’accompagnement et d’exposition des données.

Autre produit auquel on souhaite le même succès : AccèsLibre. Ce service part d’un constat simple : « aujourd’hui, lorsqu’on est une personne en situation de handicap, pour accéder par exemple à un centre de vaccination Covid, Doctolib ne nous donne pas d’information sur l’accessibilité. Voilà pourquoi l’objectif de d’Etat est de constituer une base de données collaborative ouverte sur l’accessibilité des ERP (établissements recevant du public). Ce service sera un succès quand La Fourchette, TripAdvisor et Doctolib viendront se brancher à cette base de données ! ».

Que ce soit l’ex-Secrétaire d’Etat ou les dirigeants de Beta.gouv, ils vivent ou ont vécu l’innovation ouverte depuis l’intérieur des Ministères, aux premières loges. Mais du côté des techniciens, experts, ré-utilisateurs, le regard quant aux bienfaits de l’innovation ouverte est-il le même ? Les participants à notre exploration ont mis en avant plusieurs grands avantages :

  • elle favorise l’émergence d’une intelligence collective. En faisant intervenir des expertises très diverses, en permettant aux usagers et diverses parties prenantes de se connecter, en facilitant l’entrée de nouveaux acteurs innovants à tous niveaux (étudiants, entreprises, collectivités, chercheurs…),
  • elle permet également le foisonnement, la réutilisation, l’émergence de nouveaux services, l’enrichissement des données. Dans le domaine de la mobilité, c’est la capacité d’améliorer le caractère multimodal des services digitaux, de croiser les données de mobilité avec d’autres données, de connecter les services de mobilité avec d’autres secteurs (ex : tourisme, immobilier…),
  • elle renforce aussi l’ancrage territorial,
  • elle décloisonne les services au sein d’une même entité ou entre plusieurs parties prenantes, 
  • elle rend accessible au plus grand nombre : par exemple, la richesse des données proposées par OpenStreetMap (OSM) permet à de nombreux acteurs (y compris avec de petits moyens financiers) de lancer de nouveaux outils/services dans le secteur de la mobilité.

La mobilité, dans les starting blocks 

Comment ne pas citer Rennes Métropole lorsque l’on parle des premières expérimentations dans le domaine de l’innovation ouverte appliquée aux mobilités ? Dès 2010, la métropole bretonne ouvrait ses premiers jeux de données, et signait le premier programme d’open data français, avec un accent particulier sur les données de mobilité. Armel Guenneugues, en charge du marketing et de l’innovation au sein de Keolis Rennes nous rappelle que « ce mouvement a notamment donné lieu à la réalisation d’applications mobiles pour le réseau STAR ». Un gros succès à la clé, notamment via un programme de labellisation particulièrement malin.

Aujourd’hui, alors que la dynamique d’ouverture des données transports semble avoir atteint son rythme de croisière, le Métropole a décidé de « cranter plus haut ». En 2016, elle a créé son Service Public Métropolitain de la Donnée, avec plusieurs objectifs : impliquer encore plus de partenaires, ouvrir plus de données, accompagner la réutilisation des données publiques et privées.

« L’objectif de RUDI est de co-construire une plateforme d’accès et de partage des données territoriales. » Armel Guenneugues 

L’expérience les pousse à insister sur deux points fondamentaux : animer les acteurs et créer de nouveaux types de coopération. Pour aller plus loin, la Métropole a aussi fait appel à l’Union Européenne pour financer le projet RUDI (Rennes Urban Data Interface). « L’objectif du projet est de co-construire en trois ans une plateforme d’accès et de partage des données territoriales, destinée à l’ensemble des acteurs locaux en mettant en relation les producteurs et les réutilisateurs de ces données. »

La dynamique est donc toujours là. Et il en va de même côté mobilités. Si 370 jeux de données sont ouverts (dont 65 sur la mobilité) le réseau STAR (Keolis) travaille aux côtés des équipes de Rennes Métropole afin d’ouvrir de nouveaux fichiers, tels que la fréquentation du réseau. Une démarche d’innovation est également en cours, intégrée à la Délégation de service public (DSP) 2018-2024. Elle consiste en l’organisation d’ateliers de créativité, dont l’issue est le lancement d’expérimentations. Cela grâce à une enveloppe financière disponible dans la DSP mais non fléchée sur des projets connus à l’avance. Le comité de pilotage de la démarche intègre les services mobilité, mais pas que. Vous l’aurez compris, à Rennes, la démarche d’innovation ouverte est d’abord collective et participative. L’initiative de concertation citoyenne STAR 2022 en témoigne.

Du côté d’Ile-de-France Mobilités (IDFM), on commence aussi à posséder un certain recul sur le sujet de l’innovation ouverte. La première plateforme de l’autorité de mobilité francilienne a en effet déjà six ans. Lorsqu’elle a été publiée, en 2015, il s’agissait pour le Conseil d’Administration de répondre aux besoins des utilisateurs qui avaient émergé dès 2009. IDFM proposait déjà dix jeux de données, très orientés transports public, avec un « best seller » : le fichier GTFS comprenant les 70 opérateurs d’Ile-de-France, seul jeu de données de la sorte. En 2016, la mise en place d’un routeur d’API a permis d’exposer sur OpenDataSoft la totalité du calculateur Navitia et des API associées. C’est cette même année qu’IDFM a lancé son premier comité Open data afin de coordonner les démarches avec les opérateurs de transport. Une année plus tard, une grande avancée était annoncée : l’ouverture des données temps réel (prochains passages et perturbations) et en parallèle, la création d’un studio d’innovation avec des start-ups. Ce fut aussi le début d’un long travail sur la collecte des données d’infrastructures vélo au sein d’OpenStreetMap (OSM), avec l’aide de Géovélo et de Cartocité, en initiant la collecte et en animant l’écosystème des contributeurs OSM. Depuis, l’actualisation de ces données bénéficie à tou.te.s. Plus récemment, en 2019, ce furent les premiers challenges d’innovation, et l’an dernier le travail mené sur la Licence Mobilité.

Au final, cette démarche de 10 ans peut être résumée en quelques chiffres : aujourd’hui IDFM, ce sont 50 jeux de données statiques (15 en 2015), et un GTFS consommé plus de 2000 fois par mois. Côté API, 633 ré-utilisateurs sont inscrits et le service cumule 80 millions de requêtes par mois, avec 77% des recherches concernant la fonctionnalité prochains passages”. Olivier Vacheret indiquera que « de l’open data, IDFM a glissé sur le terrain de l’innovation. L’ensemble des données ont généré de nombreuses initiatives ». IDFM utilise désormais l’écosystème de l’innovation ouverte au service des enjeux de sa politique publique. Prochain projet dans les cartons : l’ouverture de la Plateforme Régionale d’Information pour la Mobilité (PRIM), une plateforme B2B réunissant des données statiques, dynamiques, ouvertes à d’autres partenaires de la mobilité. Vaste programme !

« De l’open data, IDFM a glissé sur le terrain de l’innovation. L’ensemble de ces données ont généré de nombreuses initiatives. » Olivier Vacheret 

L’autorité de transports francilienne approche désormais l’écosystème via plusieurs dynamiques : R&D, applications d’expérimentations, innovations intégrées dans les contrats ou encore « challenges d’innovation ». Et entre cette nouvelle dynamique et les années de politique d’ouverture, elle peut désormais dresser quelques enseignements intéressants : “l’ouverture des données permet de faciliter la création et l’appropriation des communs et les AOM deviennent le maillon d’une chaîne de valeur de l’ensemble des services délivrés”.

La peur du plafond de verre

Que ce soit chez les opérateurs, AOM et de l’avis des nombreux participants à l’exploration, il semble que malgré toutes les dynamiques lancées il y a quelques années, l’innovation ouverte marque une sorte de « plafond de verre ». Axelle Lemaire l’a d’ailleurs confirmé. La loi rédigée il y a déjà cinq ans était principielle, c’est-à-dire qu’elle posait des principes nouveaux structurants pour l’émergence de l’économie et société des données. Mais « lorsque l’on plante des graines doctrinales, au plan juridique, ces dernières peuvent pousser au bout de quelques années ». Cinq ans après, rien n’est acquis, la dynamique doit absolument être entretenue… Parce que « le souffle s’était ralenti, pour ne pas dire éteint » confirme-t-elle. C’est dommage… car c’est une perte de temps.

La compréhension des enjeux est bien là, la mobilisation du public dans le domaine aussi. Mais malgré tout, il reste encore des freins importants. Dans le secteur privé notamment, liés aux enjeux de protection des données personnelles, en ce qui concerne les données d’usage. Citons le secteur de la mobilité et/ou de la micro-mobilité ou protection des données personnelles, propriété industrielle / intellectuelle, et secret des affaires sont encore aujourd’hui des arguments forts pour freiner des quatre fers. Ces freins à l’ouverture ne sont pas uniquement sectoriels, ils sont aussi bien souvent hiérarchiques : quand les techniciens accélèrent, les plus hautes strates freinent. Entre volonté sincère d’avancer et blocages à la tête ! Il est donc essentiel de continuer, de maintenir la dynamique pour avancer “avec la tête et les jambes”. 

Le rapport Bothorel ne fait que confirmer ce constat : « la France a été à l’avant-garde (…), mais l’avance acquise est fragile. Cette politique est aujourd’hui bloquée dans un débat inapproprié : pour ou contre l’ouverture ».

Du côté des acteurs du transport, c’est aussi le moment pour une introspection. Olivier Vacheret, d’Ile-de-France Mobilités, explique: « nous sommes vraiment dans un moment où l’on discute de l’ensemble des enseignements et apprentissages de notre expérience passée. IDFM était partie « la fleur au fusil », et aujourd’hui ressent le besoin d’une approche plus qualitative, aussi parce que l’exigence des ré-utilisateurs est quasi industrielle. Le sujet n’est pas simple, car même au bout de plusieurs années d’ouverture et de relations avec les ré-utilisateurs, certaines collaborations sont encore très « bottom-up ». De nombreux acteurs ne jouent toujours pas le jeu de l’enrichissement des données. C’est peut-être un malentendu, car les réutilisateurs voient les AOM comme des fournisseurs de données, alors qu’au-delà de ce rôle, elles sont initiatrices de valeurs pour défendre les mobilités durables ». IDFM veut essayer au travers d’outils (ex : la Licence Mobilité) de distiller cette défense de services publics et politiques publiques de mobilité. Du côté de l’innovation et de l’émergence de nouvelles solutions, cela reste difficile de « passer à l’échelle ». Les modèles économiques fragiles posent encore des difficultés pour la généralisation et pour tirer un bénéfice des solutions.

« La France a été à l’avant-garde (…) mais elle est aujourd’hui bloquée dans un débat inapproprié du pour ou contre l’ouverture ». Éric Bothorel

Une réalité qui pousse encore un grand nombre d’acteurs à freiner l’ouverture, vue comme une perte de valeur et une dépense d’argent qui sert aux autres, sans contrepartie. Un sentiment confirmé par certains participants à l’atelier. Mais ces derniers insistent aussi sur le fait que rien n’est joué, et qu’il s’agit désormais de monter d’un niveau dans le collaboratif, parce le salut viendra de l’écosystème. Des propositions très concrètes sont mises en avant :

  • créer des « succes story » pour convaincre les décideurs,
  • rendre la gouvernance la plus transparente possible autour du développement d’applications,
  • diminuer la complexité technique (le niveau de prérequis techniques pour se lancer) pour permettre plus d’usages et de collaborations,
  • mobiliser au-delà des « informaticiens geeks », en se focalisant sur des thématiques particulières (ex : les cyclistes), et donc des valeurs communes,
  • ne pas freiner des contributions d’acteurs-tiers visant à enrichir les solutions source,
  • se reposer sur des plateformes / communautés existantes, très matures et déjà efficaces (ex : OpenStreetMap, Navitia, OpenTripPlanner, TransportDataGouv, la Preuve de covoiturage),
  • animer les écosystèmes (les ateliers de la Fabrique des mobilités et d’autres acteurs comme l’UTP, le Gart, le Cerema, TransportDataGouv et les événements comme les Meetup Open Transport !),
  • acculturer les parties prenantes (techniciens, agents de collectivités, acteurs privés, décideurs politiques…).

Les idées ne manquent pas. La dernière est essentielle, parce que le politique est et sera un des maillons forts de la dynamique.

Faciliter l’innovation en développant les usages de données mobilité

Et derrière la vision et les choix politiques en faveur des communs numériques, c’est la révolution des usages à partir des données, des ressources technologiques ouvertes et du partage d’idée et de connaissance qui est en marche.

Comme le souligne Bertrand Billoud, Kisio Digital s’est engagé dès 2013 dans cette dynamique ouverte et collaborative en ouvrant le code source de sa plateforme d’information-voyageurs Navitia. Les objectifs étaient de développer les usages, d’améliorer les services d’information-voyageurs, de profiter du foisonnement d’idées d’autres acteurs en partageant une partie de la valeur technologique créée par Kisio Digital et en évitant de tous réinventer la roue chacun dans son coin. « La mise en open source de Navitia a généré de nombreuses externalités positives et des opportunités à différents niveaux pour Kisio Digital. Elle a installé l’entreprise dans un vaste écosystème qui dépasse aujourd’hui le secteur de la mobilité. C’est aussi un axe de différenciation important vis-à-vis de nos concurrents dans la manière de produire des services numériques avec d’autres parties prenantes comme Tisseo Toulouse, Qwant ou l’américain Mapbox. » Kisio Digital réutilise et contribue au calculateur d’itinéraire Valhalla de Mapbox, celui qui équipe aussi les voitures Tesla par exemple. « Nous avons contribué à Valhalla l’an passé, en collaboration avec l’équipe de Mapbox, en développant la fonctionnalité Vélo en libre-service pour nos propres besoins. N’importe quel acteur peut depuis utiliser cette fonctionnalité dans Valhalla. » Cette culture de coproduction, d’innovation ouverte facilite la mise en place de standards numériques, l’interopérabilité et la souveraineté. L’efficacité des travaux de l’équipe TransportDataGouv autour du PAN en témoignent. Des sujets qui raisonnent aussi actuellement avec les nombreux projets autour des plateformes MaaS (Mobility as a Service) en cours et à venir, car la bonne gouvernance et la coopération entre les acteurs publics et privés est capitale. La Fabrique des mobilités vient d’ailleurs d’initier un groupe de travail pour élaborer les standards ouverts pour le MaaS d’intérêt général, à l’image du Compte mobilité MOB.  

En complément de l’ouverture du code source et des données de mobilité, Kisio Digital a développé le Lab’ des mobilités, « boîte à outils » de services numériques d’information-voyageurs pour faciliter l’accès à la technologie Navitia et accélérer l’innovation. Ces outils numériques s’adressent à des personnes qui ont des compétences en informatique, des développeurs, des data scientists… Le premier outil, et le plus utilisé encore aujourd’hui, est la plateforme API (interface de programmation) www.navitia.io avec plus de 12 000 développeurs inscrits et 680 jeux de données de Transport public du monde entier, accessibles en open data. L’API Navitia et d’autres outils comme les SDK Navitia (kits de développement), la console d’API Navitia Playground ou le widget Navitia Web Solution ont donné l’occasion de simplifier la réutilisation de Navitia en réduisant son temps d’intégration pour le commun des mortels, en masquant certaines complexités techniques.

« L’implication des équipes est aussi un point crucial dans cette stratégie d’ouverture et de mise en réseau. » Bertrand Billoud 

Les outils et autres ressources technologiques ouvertes accélèrent l’innovation ; mais il n’y a rien de plus efficace qu’un humain qui prend le temps d’expliquer, d’échanger avec d’autres humains utilisateurs et parfois contributeurs. La valeur de la plateforme repose sur les usages et les relations qui se construisent dans la durée avec la communauté. « Le forum de l’API Navitia, le chat technique, les réseaux sociaux et les événements auxquels nous participons comme les hackathons, les ateliers ou les meetup Open transport sont autant d’occasions de créer des liens avec les réutilisateurs. » Ces différents services autour de Navitia améliorent l’expérience utilisateur des développeur (DevX) et facilitent les usages.

« C’est dans cette même logique que nous avons récemment lancé Le Lab des mobilités, une nouvelle offre en marque blanche et à destination des AOMD, des acteurs de la mobilité, des incubateurs qui souhaitent développer les expérimentations sur un territoire donné. » Le premier Lab des mobilités verra le jour prochainement à Abidjan, porté par l’AMUGA, la nouvelle AOMD locale. Il permettra à d’autres acteurs (start-up, acteurs publics, académiques, entreprises privées…) d’innover plus facilement, en partenariat avec l’AOMD, en utilisant les outils de ce Lab des mobilités (API, SDK mobiles, Widget web, console d’API Navitia). Cela permet à l’AOMD de valoriser les données de mobilité, d’être plus active dans son écosystème de partenaires, de réutilisateurs… et de participer activement au développement de nouveaux services pour les cinq millions d’habitants de cette métropole africaine. 

Une nouvelle feuille de route plus politique ?

Axelle Lemaire se montre optimiste. L’ex-Secrétaire d’Etat au Numérique sent un souffle ressurgir, quelque part résumé dans la circulaire du Premier Ministre sur l’open data. Il y aura l’ouverture de nouveaux jeux de données très importants (63), faisant partie du service public de la donnée, et une mobilisation administrative en interne au plus haut niveau, avec la nomination plus systématique des administrateurs généraux des données dans les ministères. Ce mouvement se décline déjà dans les territoires, au niveau local. Elle en est convaincue, « cette dynamique est essentielle, pour entrer dans une nouvelle ère de l’innovation ouverte. » 

« La dynamique actuelle est essentielle pour entrer dans une nouvelle ère de l’innovation ouverte. » Axelle Lemaire 

Le rapport Bothorel est plutôt clair sur le sujet : « notre pays a besoin de plus d’ouverture, sous toutes ses formes : ouverture de données publiques (open data), mais aussi partage et accès sécurisé aux données sensibles ». Il rappelle que « l’intérêt de l’ouverture de la donnée et des codes sources a encore besoin d’être affirmé et démontré ». Il évoque un régime européen de protection qui doit être effectif, mais pas interprété de manière excessive. Une « sécurité qui ne doit pas masquer une mauvaise foi ». Les mots sont tranchants. Les onze pages qui suivent suivent le même discours, de vérité, précis, incisif. Les recommandations sont quant à elles honnêtes « en l’état actuel des choses, la mission craint que ses recommandations ne soient pas portées et suivies ». Elle formule donc des recommandations. Citons en quelques-unes :

  • assurer le portage politique,
  • engager la puissance publique sur la voie d’une participation plus active aux communs numériques,
  • créer un Open Source Program Office,
  • sécuriser le cadre juridique du partage volontaire de données d’intérêt général,
  • développer le partage des données privées au service d’intérêts partagés…

Plus qu’un très bon début pour envisager la suite !  Les participants à notre exploration rappellent que l’échelle européenne sera primordiale pour continuer à faire avancer le monde de la mobilité dans le domaine de l’innovation ouverte. Citons les programmes DATA4PT concernant les standards, ou encore GAIA-X pour construire l’infrastructure de données fédérée autour d’un écosystème souverain. L’Europe a toute sa place dans l’échiquier numérique mondial. C’est à elle de fixer les règles sur son territoire en portant l’ambition d’un numérique basés sur des communs à travers les directives européennes et le financement de projets européens. C’est par exemple le cas du projet MobiDataLab, dont Kisio Digital est partenaire. Ce programme de recherche et d’innovation européen Horizon 2020 a pour objectif de construire une plateforme d’échange de données de mobilité à l’échelle européenne (European Transport cloud) pour développer les usages de ces données, l’innovation, la co-création de services avec d’autres acteurs économiques.

A deux mois de la présidence française de l’Union européenne, c’est le bon timing pour accélérer sur le sujet. Il semble que nous vivions un moment charnière. Pour Axelle Lemaire, deux notions sont essentielles pour entrevoir un futur souhaitable. L’Écosystème. Ce mot, rappelons-le, est inspiré des sciences du vivant. Cela signifie qu’il doit s’entretenir. Et l’innovation ouverte. Elle suppose une posture et un état d’esprit différents de ceux auxquels nous sommes habitués. Alors, oui, nous prenons un risque de partir sur un terrain inconnu, celui du partage avec des partenaires, parfois concurrents, et cela suppose un niveau de confiance, une acceptation de se tromper, un nouveau mode de partage de la valeur, une forme de réactivité entre le push/pull, et un lâcher prise déterminant. Ce sont les conditions psychoculturelles de mise en œuvre de mécanismes efficaces de partage de données. Et l’open source… ici c’est la pratique qui donnera raison à la doctrine : les plus grands acteurs technologiques qui se positionnent sur le sujet montrent qu’il est central dans un écosystème (ex : Chine et Etats Unis). Il ne manque plus qu’à se retrousser les manches et à enclencher une nouvelle étape pour l’innovation ouverte et collaborative. 


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