Norvège : le meilleur MaaS d’Europe ?

“Nous ne sommes que des agrégateurs.” Vincent Paturet est très humble lorsqu’il parle de son travail au sein d’Entur en Norvège. Pourtant, la dynamique lancée par cette entité publique est en réalité exemplaire sur bien des aspects. Surement parce que les Norvégiens ont compris que le MaaS n’était peut être que la finalité d’un lent processus de construction, imaginé de manière systémique en embarquant l’ensemble des acteurs du transport dans les territoires. Après avoir eu la chance d’échanger à de nombreuses reprises avec des membres de l’équipe d’Entur, je suis on ne peut plus convaincu que si l’on devait suivre un seul exemple de MaaS en Europe, c’est vers la Norvège qu’il faudrait regarder. Parce que les Norvégiens ont compris plusieurs choses qui me semblent essentielles.  

Ils ont compris que la puissance publique doit jouer un rôle majeur pour porter une vision de long terme 

Entur est vraiment staffé pour répondre aux enjeux du MaaS, et ce à l’échelle du pays tout entier. Pour traiter l’information voyageur par exemple, ce sont pas moins de 50 techniciens qui travaillent au quotidien, sans compter les nombreux consultants externes. C’est donc une structure publique solide qui pilote le MaaS dans l’ensemble du pays. Pourtant, c’est une structure encore très jeune. L’histoire a débuté en 2016, lorsque dans le cadre de la restructuration du secteur ferroviaire (réforme à l’échelle nationale), les élus norvégiens ont créé Entur, une société publique dont l’objectif était initialement de reprendre l’exploitation des solutions de vente et de billetterie de la NSB (l’opérateur ferroviaire historique). C’est en 2017 que la question de l’information voyageurs s’est invitée au débat. Et c’est à ce moment là que le pays a fait des choix vraiment audacieux, parce que pensés sur le long terme. 

La première décision importante prise par Entur a été de choisir un standard (Transmodel) et un format d’échanges de données transports (NeTEx et Siri) européens. Un environnement qui n’est clairement pas le plus facile à appréhender, mais qui est le plus complet et détaillé en ce qui concerne l’information voyageurs. Il faut dire qu’en parallèle, la directive européenne concernant l’information voyageur pilotée par Bruxelles faisait aussi peu à peu son chemin dans les esprits. Les obligations concernant le NeTEx et les PAN (points d’accès national) s’imposaient progressivement. Tout cela a sûrement dû influencer Entur dans son choix. Néanmoins, si choisir un unique format d’échange de données à l’échelle nationale est une chose, que l’ensemble des producteurs de données s’y plient en est une autre. Voilà pourquoi une loi a été votée afin d’imposer à tous les producteurs de données de fournir leurs données au format NeTEx. 

Ils ont compris que le travail avec les producteurs de données est essentiel 

Entur joue un rôle d’agrégateur. L’objectif de la structure publique est bien de rendre les données disponibles sous forme de services. Ce qui signifie qu’Entur ne produit pas, mais valide, contrôle et centralise. Ensuite, les données sont mises à disposition de tous les consommateurs, en NeTEx/Siri mais aussi en GTFS/RT. C’est donc à chaque producteur de données de se plier aux obligations fixées par la loi avant d’envoyer ses datas à l’agrégateur. Coté producteurs, la situation est sur la forme assez similaire à la France. Il y a des opérateurs, équipés de logiciels qui produisent des données puis des autorités organisatrices locales, que l’on appelle ici des comtés. Ce sont elles qui ont la responsabilité de faire remonter les données des opérateurs à Entur (à quelques exceptions près, comme #Ruter à Oslo, ou la NSB, l’opérateur ferroviaire national, qui gèrent et envoient leurs données en direct).

A me lire, on aurait presque l’impression que tout cela est facile et fonctionne sans accroc. Le process est désormais plutôt rodé… mais il ne s’est pas fait du jour au lendemain : il a fallu plusieurs années pour mettre en place la dynamique. Au début, comme partout, des données étaient fournies sous plusieurs formats, dont le GTFS ou encore le format norvégien originel. Au delà de l’obligation légale, il a fallu accompagner les producteurs de données, notamment les plus petits et donc les moins dotés en ingénierie ou en outils. D’où l’idée d’Entur de fournir une interface simplifiée afin de faciliter la production de données valides et qualitatives, en NeTEx. Il y a aussi un écosystème (privé) qui accompagne les producteurs afin de les aider à produire les données au bon format. Ici, le business ne se fait donc pas sur le front end et le calcul mais beaucoup plus sur la donnée. 

Ils ont compris qu’ouvrir et mettre à disposition des services est plus qu’une philosophie 

La volonté d’Entur est de simplifier la vie des acteurs locaux. “Un juste retour des choses : on impose certaines choses par la loi, mais on accompagne et facilite le travail pour tous”. Ce rôle de facilitateur passe pas plusieurs briques essentielles.

Tout d’abord, Entur fournit un calculateur d’itinéraires en open source, j’ai nommé Open Trip Planner. Entur l’utilise pour sa propre application et site internet, à l’échelle nationale, mais le fournit également aux opérateurs / autorités organisatrices locales qui souhaitent le déployer (cela colle encore une fois parfaitement à la dynamique poussée par Bruxelles, appelée OJP, pour “Open API for distributed journey planning”). Certains comtés ont sauté sur l’occasion pour abandonner leurs propres dispositifs, et profiter du calculateur national, décliné au niveau local. Une mutualisation intelligente, mais surtout ouverte, puisque le code d’OTP est totalement en open source. 

Ce premier pan de la stratégie servicielle est remarquable. Mais Entur va plus loin. L’entité publique a déployé un géocodeur qui permet d’interroger une base de données de POI nationaux (utilisant OpenStreetMap). Elle a aussi, et c’est un travail chronophage et rigoureux, créé un référentiel national de points d’arrêts (il y en a 60.000). Chaque comté est en mesure, via une interface simplifiée, de gérer, améliorer, enrichir ses points d’arrêts. Selon Entur, ils jouent majoritairement le jeu. 

Entur pense aux autorités locales, mais aussi aux consommateurs de données qui ne sont pas forcément norvégiens. Les données sont toutes ouvertes, facilement accessibles, et les ré-utilisateurs peuvent choisir entre NeTEx/Siri (profil nordique) ou GTFS/RT. Ils peuvent aussi avoir accès à l’ensemble des process mis en place par Entur sur un “centre de ressources”, une page spécifique pour les développeurs, et un slack mis à disposition de tous. Aussi, le travail mené par Entur ne s’arrête pas aux frontières norvégiennes puisque l’entité publique est membre d’un groupe de travail qui développe un profil de données nordique. 

Enfin, Entur sait aussi proposer des outils basiques mais extrêmement pratiques pour des acteurs très variés, n’évoluant pas directement dans le secteur des transports. Ainsi, avec l’interface “Tavla”, il est très facile de configurer et de déployer un tableau d’information voyageurs. Cela permet à un café, un hall d’entreprise ou encore que sais-je, un bureau de poste, de fournir à ses clients, directement sur un écran l’ensemble des offres à leur disposition ainsi que les horaires des prochains départs de toutes les offres de transports publics, le tout en temps réel. Basique, mais essentiel ! Le tout est bien sur totalement configurable et disponible sur Github. 

Ils ont compris que le MaaS ne peut se faire que sur des bases solides

Vous avez remarqué, je n’ai pas encore parlé d’intermodalité, de multimodalité, de micromobilité, ou encore de ticketing. En effet. Entur souhaite franchir les étapes progressivement, mais en étant d’abord “solide sur les appuis”, comme on dit en ovalie ! D’un côté, la vente des titres (le projet de base issu de la réforme de la NSB, souvenez vous…) avance. Les principales métropoles norvégiennes proposent l’accès aux tarifs dans leur application (ou directement sur Entur) ainsi que l’achat via CB. Sont vendus les titres unitaires, les abonnements, ou un grande partie des tarifications spéciaux. Le déploiement à l’échelle nationale prend du temps, car il faut apprendre à gérer la complexité tarifaire, la modélisation et la standardisation des protocoles en lien avec la vente des titres. Mais c’est désormais le sujet prioritaire d’Entur.

Côté nouvelles mobilités, l’intégration est là aussi progressive. La plupart des grandes villes permettent dans leur application ou dans celle d’Entur de visualiser les offres de vélos en libre service, ainsi que les offres en free floating (trottinettes, vélos…). Il est possible de connaître la disponibilité des véhicules pour chaque station, en temps réel, et des deep link vers les applications ad-hoc font ensuite le job pour la suite des opérations. C’est pragmatique, efficace, et l’avenir dira si l’intégration va plus loin, avec par exemple l’intégration du déblocage des véhicules. 

Et si l’innovation n’était pas visible… C’est un travail minutieux, réglé au millimètre et surement coûteux qu’a lancé la Norvège. Mais si un “bon MaaS” c’était avant tout un calendrier rigoureux, une standardisation des données, des outils permettant aux AOM de collaborer, le tout avec une vision homogène à l’échelle nationale. Si c’était tout simplement une méthode plutôt qu’un grand discours sur la dématérialisation et la multimodalité. Si au delà d’une juxtaposition peu efficace de tous les modes de déplacements, le MaaS était surtout une agrégation des combinaisons réellement utiles. Beaucoup en parlent, les Norvégiens l’on fait. Alors la question doit vous brûler les lèvres : ce modèle est-il transposable en France ? Peut être pas tout de suite à l’échelle nationale… Mais pourquoi pas à l’échelle régionale. La Nouvelle Aquitaine semble s’être inspirée du modèle norvégien pour plusieurs de ses briques. L’agglomération de Grenoble pour d’autres. Ca n’est qu’un début. Mais qui osera mettre les moyens pour aller (enfin) plus loin ? 

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