La crise sanitaire du COVID-19 remet en question nos modes de fonctionnement du quotidien. L’accès à l’alimentation fait partie des sujets les plus importants, notamment parce qu’il représente un des besoins de première nécessité. Et à ce sujet, depuis quelques semaines, afin de maintenir une activité, répondre à la demande des consommateurs tout en respectant les prérogatives de l’Etat, plusieurs type d’initiatives se sont développées : des cartes pour localiser les acteurs du secteur ; de la vente en ligne ; des systèmes de “drive” et enfin, des services de livraison. Toutes ces initiatives – dont je suis admiratif quant à la force de résilience qu’elles démontrent – font particulièrement écho dans ma tête, car elles ont des similitudes mais aussi des synergies très nombreuses avec le domaine dans lequel je travaille au quotidien, à savoir celui de la mobilité. Voilà pourquoi je me permets quelques réflexions pour la période post-covid.
Mais avant tout, rapide retour sur quelques éléments essentiels… Depuis le début du confinement, concernant la thématique de l’alimentation, l’Etat français a progressivement définit des règles : “tous les commerces alimentaires, y compris les drive alimentaires restent ouverts, tous les services de livraison de repas à domicile restent disponibles et enfin, tous les établissements de type restaurants et débits de boissons sont autorisés à maintenir leurs activités de ventes à emporter et de livraison”. Plus tard, il a ajouté : “la tenue des marchés, couverts ou non et quel qu’en soit l’objet, est interdite”. En parallèle, tous les supers, hypers et grandes chaînes restaient ouverts ! Une position contestable, et dénoncée dans une excellente tribune sur le site des Echos. Au delà de rester ouverte, cette même grande distribution, une fois le rush des premiers jours passé, a su très vite s’adapter et déployer de nouvelles palettes de services. A titre d’exemple, Carrefour a annoncé un partenariat avec Uber Eats pour réaliser des livraisons. Vous non plus ça ne vous inspire pas franchement ? Alors je vous propose de réfléchir à des solutions alternatives.
Car il est plus que jamais possible de mettre les commerces de proximité, les circuits-courts et les initiatives locales (du domaine de l’alimentation) au centre du jeu, aujourd’hui et surtout demain.
Vers un accès à l’information mutualisé et ouvert ?
Très rapidement, de nombreuses initiatives ont vu le jour pour localiser les commerces ouverts et les services qu’ils proposent : drive, livraison, retrait en relais, présence aux marchés… Elles viennent compléter d’autres démarches lancées il y a déjà plusieurs années à l’image des Drives Fermiers lancée par Eric Lesage (la Ruche qui dit oui) dès 2013. Point positif ? les récentes initiatives sont excellentes et ont offert un premier niveau de réponse à la population. Point négatif ? elles ont souvent été produites par des acteurs très différents, en utilisant des solutions et des technologies hétérogènes et bien souvent propriétaires. Risque ? qu’elles ne soient pas mises à jour, ou encore délaissées après la fin du confinement.
Pourtant, il existe une manière alternative de concevoir ces dispositifs : utiliser des outils ouverts, libres, gratuits et collaboratifs. Les avantages sont très nombreux, mais le principal est de pouvoir assurer une pérennité des informations créés, parce que ces dernières sont ouvertes et modifiables par la communauté, dans des formats standards et éditables par l’ensemble des acteurs de l’écosystème – consommateurs et producteurs-, le tout sans dépendre « d’une structure chapeau ». L’outil le plus puissant pour créer des cartes collaborative est évidemment OpenStreetMap. Il est d’autant puissant quand il est associé à des modules comme uMap. Ce dernier permet en effet d’être utilisé très rapidement par un public non averti mais aussi de mutualiser les informations pour sortir des limites de “chaque projet”, en créant des des bases de données que l’on peut très facilement importer (csv) ou exporter (gpx, geojson, kml…).
Existe-t-il quelques projets intéressants ? Coté initiative citoyenne : « Ca Reste Ouvert » (OSM) est un outil créé pour éviter les déplacements infructueux autour de chez soi durant le confinement et limiter ainsi le risque de contagion. Comment ? via une carte collaborative, sur base “OpenStreetMap”, qui permet de partager simplement les lieux ouverts ou fermés dans son quartier. L’équipe qui a créé ce superbe outil est bénévole et est constituée de professionnels de la cartographie numérique, tous contributeurs OpenStreetMap passionnés,
Coté collectivités, une plateforme a été créée par la Région Nouvelle Aquitaine (oui c’est chez moi!) et permet la mise en relation producteurs et artisans locaux et consommateurs de la région. Elle est basée sur Open Street Map et a été déployée via Openmaptiles.
Alors quel est l’enjeu désormais ? Qu’un maximum d’initiatives intègrent leur((s) projet(s) sur des solutions libres/en open source, comme celles évoquées plus haut, et que la communauté s’en serve pour améliorer encore les outils à disposition.
Des plateformes de mise en relation d’un nouveau genre ?
Au delà de se faire connaître et d’avoir accès à une information géolocalisée, la seconde étape peut être pour les producteurs de créer une plateforme de commande et réservation en ligne et/ou un drive. Là encore, des similitudes avec le monde de la mobilité ! Et là encore, il n’est pas obligatoire de se perdre dans des solutions fermées et propriétaires. Des alternatives très performantes existent.
Il y en a une qui a particulièrement attiré mon attention : Cagette.net. Non seulement parce qu’elle vient de lancer un “kit d’urgence” pour que les producteurs puissent créer des drives, dans cette situation très particulière pour eux, mais aussi parce qu’elle porte des valeurs remarquables :
- elle est sans commission : la plateforme ne prélève aucune commission sur les commandes. Elle est rémunérée principalement par son activité d’organisme de formation pour les producteurs,
- elle contribue à un projet militant : elle fait vivre les liens directs entre producteurs et consommateurs,
- elle propose un logiciel libre : le code source est public et il est librement utilisable. C’est un bien commun à la disposition de tous. La documentation est disponible ici.
Il existe des initiatives similaires comme celle d’Open Food Network, qui fournit aussi une plateforme logicielle open source, libre et gratuite, dont le code source est public et la documentation plutôt bien faite.
L’enjeu désormais ? former les acteurs de l’écosystème à l’utilisation de ces dispositifs numériques, en leur démontrant les nombreux avantages qu’ils peuvent représenter ; en faire la promotion auprès des pouvoirs publics (surtout au niveau local car bien souvent ils sont inconnus des acteurs institutionnels) et enfin, continuer à améliorer les plateformes via la communauté.
Des modalités d’accès/livraison par les modes doux ?
Et si le COVID permettait d’acter enfin le fait qu’il est possible de changer nos habitudes pour accéder à l’alimentation ? Depuis le début du confinement, deux types de solutions ont été mises en place par les acteurs locaux de l’alimentation : les drives d’un côté et la livraison de l’autre. Ces solutions ont souvent été mises en place de manière très rapide et présentent un certain nombre de potentielles optimisations.
Du côté des drives : qu’ils soient en remplacement des marchés (organisés par les municipalités) ou mis en place directement par les commerçants, ils sont malheureusement majoritairement synonymes de déplacements en voiture. Et c’est bien dommage, car le phénomène pourrait se pérenniser post-Covid. En effet, il y a fort à parier sur l’utilisation de la voiture personnelle sera perçue comme plus sécurisante en termes sanitaires par nombre de nos concitoyens. On peut donc s’attendre à une augmentation de l’utilisation de cette dernière. Si cette habitude s’applique aussi à l’alimentation, le bilan environnemental ne sera clairement pas glorieux.
Alors pourquoi ne pas dès à présent penser à une organisation de ces drives adaptée aussi aux vélos ? Il serait tout à fait possible de faire charger la marchandise dans une petite remorque (on en trouve à moins de 100€), sur un porte bagages ou encore dans tout autre dispositif permettant de déplacer des charges… vélo-cargos compris bien sur. Certaines municipalités et même certains pays tentent de pousser l’utilisation du vélo en cette période de confinement, pour anticiper le post-Covid… alors pourquoi ne pas s’y mettre aussi dès aujourd’hui pour aller récupérer ses courses, au marché, ou ailleurs ?
Du côté des livraisons : là aussi il y a, et il y aura fort à faire. Si les services de livraison se multiplient, ils sont malheureusement eux aussi bien souvent associés à l’utilisation de solutions carbonées : voitures, camionnettes, ou encore scooters. Pourtant, si l’on rembobine un peu, et que l’on revient à notre volonté de promouvoir les circuits courts et le commerce proximité, il y a des alternatives efficaces bien plus écologiques.
A ce titre, évidemment, le vélo, ou plus particulièrement la cyclo logistique est une solution totalement adaptée et beaucoup plus puissante que l’on ne peut le penser. J’en parlais ici il y a quelques mois.
Pourquoi ne pas profiter du Covid pour tester des dispositifs, et pousser au maximum cette solution ? Certains l’ont fait, à l’exemple de la Ville de Montréal : “elle mise sur la livraison à vélo pour soutenir les entreprises de la métropole et favoriser le commerce de proximité en cette période de crise. Le « Service de livraison urbaine » à vélo fait partie d’une série de mesures annoncées lundi par l’administration Plante (Maire de la ville)”.
Sans aide de la collectivité, il y a aussi des communautés pro-actives dans le domaine, comme CoopCycle. C’est la fédération européenne des coopératives de livraison à vélo. Elle met notamment à disposition un outil de cyclo-logistique complet au code ouvert, pour permettre aux coopératives de gérer leurs courses et aux commerçant.e.s, aux restaurateurs et aux clients d’accéder au service.
Le développement de ce type d’initiatives autour de la cyclo logistique permettrait aussi de réfléchir à de nouvelles manières de redistribuer les marchandises alimentaires, depuis des mini-hubs. Pourquoi les marchés organisés par nos municipalités chaque semaine ne seraient pas en partie ces mini-hubs ? Pourquoi une partie des marchandises déployée sur les étales ne serait pas réservée (à l’image du drive “temporaire” organisé aujourd’hui) pour des livraisons qui seraient réalisées en vélo depuis le marché ? Pourquoi ne pas expérimenter cet éventuel nouveau potentiel de diversification pour les producteurs ?
Nous vivons une période très particulière. Mais c’est une période qui doit aussi nous faire réfléchir à ce que nous désirons demain. En ce qui concerne l’accès à l’alimentation, les initiatives qui ont été déployées, souvent très rapidement, sont très intéressantes. Il s’agit de réfléchir à en pérenniser certaines en aidant producteurs et consommateurs autour de projets ouverts, participatifs et en mettant en avant des solutions plus soucieuses de l’environnement et de notre environnement.