Coupler le vélo et le train est une solution qui pourrait s’avérer non seulement efficace, mais surtout utile à tellement de citoyens. J’en suis convaincu depuis longtemps, étant moi-même utilisateur régulier. C’est d’ailleurs fort de cette conviction que je réalisais une exploration passionnante en 2021 puis en 2023 pour comprendre le modèle néerlandais. Un modèle presque totalement orienté sur “la gare comme plateforme” : pour stationner son(ses) vélo(s) mais aussi pour emprunter un des 22.000 OV-Fiets du pays. Alors oui, j’étais revenu bluffé par la gestion à la néerlandaise, pas uniquement par les volumes de stationnement sécurisés, mais surtout par tout leur “back end” ! J’ai tenté d’expliquer en quoi ce modèle pouvait être une belle inspiration, si l’on acceptait d’en analyser honnêtement tous les ingrédients. Que s’est-il passé depuis ? Je suis allé observer ce qui se passait en Espagne (pas fameux), en Italie (intéressant), et en Autriche (prometteur). Évidemment j’ai aussi regardé ce qui se passait chez nous (très mou). Et puis j’ai aussi pas mal traîné mes roues en Belgique. Je n’avais toujours pas pris le temps de vous relater ce que j’ai pu en observer, et c’est un tort, car plus j’avance, plus je trouve leur modèle vélo+train séduisant (ce que Alexandre Mussche me dit depuis longtemps !).
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C’est l’histoire de la Belgique, du vélo et du train
Afin de vous planter au mieux le décor, voici quelques chiffres importants à retenir. La Belgique c’est 30.000 km2 (20 fois moins que la France), un réseau dense de villes, notamment autour de ce que l’on appelle le losange flamand : Gand, Anvers, Louvain et Bruxelles, qui représente 5 millions d’habitants. Sinon, c’est 11,6 millions au total dont 6.8 en Flandres, 3.7 en Wallonie, et 1.2 dans la région de Bruxelles-Capitale.
Le siège de la SNCB, pour rencontrer les équipes de Denis Brachet et Christophe Vander Elst, qui font un super travail sur l’intermodalité vélo et train.
Mais rapprochons nous de notre sujet : les belges ont eux aussi un opérateur historique, qui s’appelle ici la SNCB. Ce dernier organise et commercialise le service ferroviaire, gère l’entretien et la rénovation des trains et des 554 gares que compte le pays. C’est un réseau finalement peu connu, mais plutôt quali, avec de très nombreuses gares qui valent le coup d’œil (celle d’Anvers est de mon point de vue incroyable).
Des visites dans les gares d’Anvers, Gent, Leuven, Namur, Bruxelles Nord etc…
Côté vélo, c’est assez simple. Globalement ça roule pas mal (14% de part modale vélo à l’échelle nationale sur le domicile-travail). C’est plus qu’en France, mais moins qu’aux Pays-Bas ! Le pays fait la synthèse de ses deux voisins ! Dans le détail ? Ça roule beaucoup au nord, en Flandres (21 % sur les mêmes O/D domicile-travail), ça commence à se réveiller à Bruxelles (7,2%) et ça traine encore un peu en Wallonie (2,4%).
Le Fietsspiraal est en quelque sorte l’exemple de l’infrastructure « haut de gamme » pour accéder à une gare et à son stationnement en vélo. Cela reste tout de même une exception, même en Flandres.
En Belgique, globalement ça roule pas mal : 14% de part modale vélo à l’échelle nationale sur le domicile-travail.
Et le vélo+train ? Là encore, le pays fait la synthèse : on est loin des 50% de voyageurs qui arrivent en vélo en gare aux Pays-Bas, mais avec 19%, les belges dépassent largement les français. Dans le détail, on parle de 15,9% en vélo classique, 2,1% en pliant, et 0,5% en vélo partagé). Notons que 8% des voyageurs repartent en vélo d’une gare.
L’accès aux gares en vélo est en règle générale plutôt soigné. Evidemment cela est très hétérogène à l’échelle du territoire national, mais on retrouve des éléments de jalonnement et de signalétique plutôt bien implantés et des infrastructures cyclables très qualitatives au droit des principales gares.
Comment la SNCB répond-t-elle au train+vélo ? L’opérateur semble appliquer le proverbe “choisir c’est renoncer”. Il tente de répondre à tous les usagers : ceux qui stationnent, ceux qui embarquent, les fous du pliant, du vélo loué en gare etc… Avec une stratégie spécifique pour chacun de ces usages.
Un système de parkings vélo… déjà très étoffé
Est-ce qu’il y a des parkings vélos dans les gares belges ? Oui. Sont-ils aussi bluffants qu’aux Pays-Bas ? Non. En termes de capacité, le pays reste un exemple assez inspirant, notamment dans les Flandres, où l’usage est le plus élevé. C’est logique. Mais en termes d’accès, d’ergonomie à l’intérieur des ouvrages ou encore de sécurisation, c’est plutôt “work in progress”.
Sur ces images, on peut voir des exemples de parkings vélo surveillés mais en libre accès. Le stockage des vélos est moins « structuré » que chez les voisins néerlandais. Quelques astuces permettent de ne pas perdre son vélo (ex : à Anvers) ! Les parkings sont bien positionnés, souvent à plusieurs entrées de la gare (comme aux Pays-Bas), avec des accès facilités aux rues d’un côté, et aux voies de l’autre (ex : Leuven).
Dans le détail, la SNCB propose des arceaux vélo couverts ou non, surveillés ou non, avec ou sans contrôle d’accès… Les emplacements vélo sont gratuits. En 2024, on comptait un total de 127.000 places, soit une place pour 86 habitants (306.000 aux Pays-Bas, soit 1 place pour 55 habitants).
Sur ces images, on peut observer des abris vélos classiques, avec équipements avec ou sans racks à étage.
Il existe également environ 8300 places sécurisées avec contrôle d’accès. Dans ce cas, l’utilisateur doit s’acquitter d’un abonnement (lié à la carte MoBIB, qui devient le sésame) : 75€ par an pour un abonné au train, 125€ pour un non abonné. Il peut le souscrire sur 1, 3 ou 12 mois… Bref, c’est super cheap et assez flexible.
Sur ces images, on peut voir quelques exemples de stationnement surveillés, avec contrôle d’accès (par carte). A Gand et Leuven.
Le stationnement des vélos en gare est un sujet qui mobilise les équipes de la SNCB, tout simplement parce que parmi les 15,9% des passagers qui arrivent en vélo en gare, 98% y stationnent ce dernier.
Parmi les 15,9% des passagers qui arrivent en vélo en gare, 98% y stationnent ce dernier.
Alors l’opérateur tente de mieux comprendre les usages, en questionnant ses voyageurs. Il nous a partagé quelques grandes tendances :
- Les parking vélo sont utilisés pour tous les profils de déplacements et d’usagers,
- Les utilisateurs actuels attendent d’un parking vélo qu’il soit sécurisé (par une surveillance au moins par caméras et éventuellement via contrôle d’accès), qu’il offre une capacité suffisante et qu’il soit couvert,
- Ils surestiment fortement le prix des parkings à contrôle d‘accès actuels et sont prêts à payer pour des solutions sécurisées,
- Moins de 20% de ceux qui embarquent leur vélo voient le stationnement en gare comme une alternative.
Afin de répondre à ces différents besoins, l’opérateur belge se challenge, et prévoit à horizon 2032 quelques jolis cadeaux pour ses voyageurs :
- atteindre 164.000 places de parkings vélo (+30%),
- proposer 6 places vélo minimum et de nouveaux abris dans 100% des gares,
- proposer le contrôle d’accès au stationnement dans 100 gares,
- déployer un système de détection de vélos dans les plus grands parkings vélos,
- proposer des points vélos humanisés dans 44 gares et en self service dans 32.
Mais en attendant 2032, la SNCB a déjà fait des petits pas. En mettant en ligne une cinquantaine de pages sur le site web SNCB afin d’informer sur l’ensemble de l’offre de stationnement vélo sécurisé en gare. En produisant un plan d’action et de communication (affichage, signalétique, ciblage client) sur son offre de stationnement sécurisé en gare, afin d’attirer ceux qui surestiment le prix du service, ou tout simplement qui ne le connaissent pas.
Des parkings, associés aux BlueBike…
Ceux qui laissent leur vélo dans un parking en gare de départ pourront aussi en Belgique trouver un vélo en location à leur arrivée. C’est ce que propose l’entreprise BlueBike. Alors oui, les fans de OV-Fiets diront que la version belge est un peu moins à la hauteur… Mais ça n’est pas comparable. Le dispositif n’est pas aussi massif que chez les voisins néerlandais, mais il est quand même un excellent allié du train, et ce depuis 2011 (date de fondation de l’entreprise par la SNCB et Fiets&Werk).
Le dispositif de vélos en libre service BlueBike est disponible dans 140 points de retrait, en majorité dans les gares (l’entreprise est partenaire exclusif sur les terrains de la SNCB) en mode “back-to-one” (retour au point de départ). Le vélo en lui même ? un vélo de ville, robuste, musculaire, doté de 7 vitesses (et même d’un panier !).
Pour le louer, il s’agit de devenir membre, pour 12€/an, puis de se rendre dans l’un des 140 points de retrait, 24/7. Le déblocage du vélo est réalisé via un dispositif un peu old school mais efficace de distribution de clés (via une carte Mobib ou Blue Bike) ou depuis peu via une application. Les deux dispositifs permettent de déverrouiller un antivol présent sur chaque vélo. Côté tarif, le dispositif le plus classique repose sur un forfait de 24h varie entre 1 et 3,5€.
Le tarif BlueBike est simple et plutôt abordable, le vélo fiable, le réseau extensif et le système uniforme.
Certains diront que le vélo BlueBike n’a rien de bien particulier et que le système de location n’est pas le plus innovant du monde. Pour autant, il fonctionne plutôt pas mal. Parce que le tarif est simple et plutôt abordable, le vélo fiable, le réseau extensif et le système uniforme. In fine, la communauté Blue-Bike compte désormais 36000 membres, contre 24 000 en 2021. Des membres qui peuvent profiter de l’effet “réseau” (partout en Belgique). Prenons le cas d’Anvers par exemple, 90% des cyclistes de la ville viennent d’ailleurs. Ainsi, les 36 000 membres de Blue Bike peuvent utiliser la flotte présente sans problème. A l’inverse, 85% des membres domiciliés à Anvers utilisent le système dans d’autres villes. Des membres qui ont sensiblement le même profil : 93% utilisent ces vélos couplés au train, pour des motifs très variés, à 86% sur des durées supérieures à 4h.
Notons que depuis 2024, l’entreprise (désormais possédée à 98% par De Lijn, l’opérateur de transport public flamand) est rentable et enchaîne les projets. On parle d’un POC de 15 e-bikes à Louvain ; la généralisation des cadenas digitaux avec déblocage par app et un projet back-to-many à Geel (un commune de 40.000 habitants proche d’Anvers).
Des conditions d’emport… orientées…
Il y a ceux qui utilisent la gare comme plateforme (pour stationner et/ou pour louer) mais aussi ceux qui préfèrent malgré tout embarquer leur vélo dans le train. Comme partout ! Et c’est ici que la stratégie belge diffère particulièrement de la stratégie néerlandaise. En Belgique, l’emport est possible et plutôt confortable… même si encadré ! Cet emport, il répond à deux grands types de voyageurs.
En Belgique, l’emport est possible et plutôt confortable… même si encadré.
D’un côté, des navetteurs, fréquents, qui voyagent à la pointe, pour le domicile-travail. Ils représentent 2% des voyageurs, et utilisent des vélos pliants. Pour eux, c’est gratuit ! Et ça ne devrait pas changer, puisque dans sa stratégie 2032, l’opérateur continue à leur faire les yeux doux.
En pliant, c’est la belle vie !
De l’autre, des voyageurs occasionnels, les week-end, durant les vacances scolaires, dotés de vélos “classiques”. Ils ne représentent que 0,1% des voyageurs, mais sont de plus en plus nombreux depuis le COVID. Jusqu’à présent, la SNCB acceptait ces voyageurs, mais imposait un supplément vélo de 4€ par monture ! Une manière de créer un filtre naturel, mais aussi un bon moyen de suivre les usages (volume, O/D…).
Dans sa stratégie 2032, l’opérateur tente d’orienter ce public hors des heures de pointe : le supplément vélo vient de passer à 5€ à la pointe et 3€ hors pointe, et pourrait évoluer vers un tarif kilométrique à terme. Il tente également de répondre aux destinations les plus populaires, via une offre ciblée, organisée et mieux communiquée.
Les conditions d’embarquement sont donc plutôt claires. Et 70% des utilisateurs concernés disent être satisfaits par le service. Mais certains autres se plaignent du manque de place et/ou d’une mauvaise accessibilité du train. Alors la SNCB tente de s’améliorer. D’abord via la montée en capacité du matériel roulant : concrètement la SNCB annonce +50% de places vélo en 2032, soit une capacité portée de 5400 à 7800 places. Ca se voit déjà sur le terrain, puisque les rames M7 (en cours de livraison) prennent en compte les besoins de capacité vélo dans leur affectation sur les différentes relations, et que leur capacité d’emport est déjà portée à 20 emplacements sur certains trains, voire à 48 sur d’autres. Au-delà des M7, la Belgique minimum 8 places vélo par train, séparées de l’espace PMR et en accès plain-pied, des espaces bagages et vélos pliants (notamment sous les sièges) et des matériels aux espaces “flexibles”.. L’opérateur souhaite également définir des règles plus claires pour l’emport vélo dans le train prenant en compte l’évolution des mobilités.
La SNCB tente également d’améliorer l’information voyageurs pour les cyclistes. Par exemple, elle fournit depuis peu la composition des trains (type et ordre des voitures) en lien avec le quai afin de préciser la position de la voiture vélo au client, directement dans son application et sur les quais.
Le cas BikeOnTrain !
Cette amélioration de l’information voyageurs pour “ceux qui embarquent leur vélo” passe aussi par un dispositif dont je suis absolument fan et que je tente de faire adopter en France depuis déjà longtemps : il s’appelle BikeOnTrain.
Ce dispositif est d’abord intéressant parce qu’il a été construit à partir de retours de terrain. Ces derniers indiquaient que sur les O/D les plus fréquentées par les cyclistes (vous comprenez mieux l’intérêt des données issues du supplément vélo ?), ces derniers avaient peur de ne pas pouvoir monter à bord, par manque de place. Ils avaient du mal à identifier l’endroit où poser leur vélo dans le train. Ils observaient souvent une mauvaise accessibilité des trains et des gares. Plus globalement, ils soulignaient un manque d’informations. Et puis il faut bien avouer que malgré les efforts de la SNCB, l’hétérogénéité du matériel roulant ne les aidait pas. C’est pourquoi la SNCB a souhaité créer un site web (indépendant de l’application de l’opérateur) permettant :
- de produire des infos utiles basées sur les données de composition des trains,
- d’associer ces données au planificateur d’itinéraire (Stoomlink à la base),
- d’échanger avec les clients.
C’est ainsi qu’a été créée dès 2022 la page web https://bikeontrain.belgiantrain.be/. Le dispositif était basique : il permettait de calculer son itinéraire en train, et de visualiser le niveau “d’accessibilité vélo” du train à l’aide d’abord d’un code couleur (rouge, orange, verte) puis des détails pour chaque train (nombre de places, type d’accès, hauteur du quai…). Un produit tout aussi intelligent dans sa construction (en mode lean) que dans son pragmatisme.
Si bien qu’au bout d’à peine une année, il réunissait 30 000 utilisateurs, 100 000 voyages calculés, et 700 retours des utilisateurs. Et c’est grâce à ces retours que l’équipe projet a pu faire évoluer le produit pour y ajouter des nouvelles fonctions, que l’on peut utiliser depuis fin 2024 : l’ajout de la visualisation de la composition des trains, ainsi que les informations sur les quais : escaliers, goulottes, ascenseurs, escalators… C’est simple, et ça fonctionne vraiment très bien ! Une inspiration pour les réseaux TER ? Qui se lance ?
La Belgique est souvent mise en avant comme un modèle démocratique du consensus. Cette dynamique se vérifie également du côté du duo vélo+train. L’opérateur historique tente de répondre à tous les besoins, de manière honnête et progressive. D’un point de vue quantitatif, que ce soit en gare ou en termes de matériel roulant. Mais aussi qualitatif, avec d’importantes améliorations pour sécuriser le stationnement et pour mieux accéder aux trains. Cette stratégie, qui vise in fine à répondre à tous les types d’usages, est accompagnée d’un travail très inspirant sur l’information voyageurs, dont BikeOnTrain est sûrement la meilleure illustration. In fine, cette stratégie est franchement intéressante, car elle suit trois axes assumés : clarifier, réguler, informer. Affaire à suivre !
[Bravo aux équipes de la SNCB, dont Denis Brachet, Thomas Seynnaeve et Christophe Vander Elst].