Cinq villes européennes qui ont su mettre en tourisme leur mobilité

Les transports collectifs ont toujours été pensés puis déployés d’abord et avant tout pour les habitants de leur ressort territorial, et majoritairement pour le domicile-travail. C’est historique, c’est finalement assez logique, et c’est là qu’aujourd’hui ils sont efficaces. Pourtant, leur capacité à répondre aux besoins des touristes et des visiteurs est potentiellement de plus en plus importante. Cela permettrait à ces derniers d’oublier leur voiture, au moins momentanément. Cela permettrait aux AOM et/ou opérateurs d’améliorer leurs taux de remplissage et de générer des recettes (non négligeables en ces temps ou l’on « compte » de plus en plus). Et cela permettrait de diminuer les impacts de plus en plus problématiques des voitures sur des territoires déjà « tendus ». Bref, que du positif… Oui, mais tout cela est théorique vous me direz… Pas tant que ça, puisque quelques territoires tentent des initiatives depuis plus ou moins longtemps… et parfois, ça marche ! Alors pour éclairer le débat, et pourquoi pas générer l’inspiration, j’ai sélectionné quelques uns de mes coups de coeur.

Porto et sa linha 500 : la mise en tourisme technologique

Dans la seconde ville du Portugal, il y a une ligne de bus qui est depuis plusieurs années une petite star locale pour les touristes, il s’agit de la ligne 500. Il faut dire que cette dernière dessert l’hypercentre, puis longe le fleuve Douro, pour ensuite desservir les plages de Matosinhos. Cette petite star n’est pas du tout un service touristique, opéré par un acteur privé, mais simplement une ligne publique, appartenant au réseau STCP, et utilisée avant tout par les habitants. Mais l’opérateur a bien compris le potentiel de cette dernière et accompagne le mouvement par une mise en tourisme que l’on pourrait qualifier de « technologique ». En effet, point de marketing ni de thermomètre de ligne spécifique, ou encore de livrée particulière. A la place, des innovations particulièrement pertinentes pour un public de touristes. Ainsi, c’est une des premières lignes du réseau avoir expérimenté le wifi à bord, l’open payment, ou encore les bus à impériale. C’est donc ici le levier « matériel » qui est privilégié, plutôt que le marketing. Peut être aussi parce que c’est l’opérateur qui est aux manettes. 

Londres et ses « Bus Leisure Routes » : la mise en tourisme cartographique

Londres est très touristique. Pas besoin de faire grand chose pour que les visiteurs utilisent l’offre de transport public, elle est omniprésente, puissante, et de plus en plus facile à utiliser (notamment depuis l’open payment). Il y a aussi bien sur de très nombreux opérateurs de bus touristiques en mode « hop-on, hop-off ». Pour autant, l’autorité organisatrice de transports (TfL, la plus emblématique du monde) a souhaité associer certaines lignes de bus existantes à des sites touristiques desservis par ces dernières. Pour ce faire, elle a produit des thermomètres de ligne spécialement pour quelques unes d’entre elles, baptisées « bus leisure routes ». C’est une autre manière de mettre en tourisme une ligne : sans toucher à cette dernière, on communique simplement pour révéler, ici par la cartographie, des points d’intérêts présents à proximité des zones d’arrêts. Le tout est évidemment fait pour encourager à utiliser cette offre pour se rendre dans ces POI, ou tout simplement pour les observer par la fenêtre ! L’exemple londonien montre qu’une mise en tourisme peut être très frugale. Attention, cela fonctionne bien à Londres car les POI sont très bien desservis par TfL, que l’accès via l’Open Payment est très simple, et que les bus à impériale sont bien adaptés à cette dynamique. A noter que l’opérateur conseille aux touristes d’éviter les heures de pointe (« between 06:30 and 09:30, and between 16:00 and 19:00, Monday to Friday »).

En Occitanie, une (tentative de) mise en tourisme régionale 

L’Occitanie s’est aussi lancée dans une mise en tourisme, mais cette fois ci à l’échelle d’une région toute entière, et de toute l’offre TER. Ca s’appelle l’Occitanie Rail Tour, et le CRT a marqueté le dispositif de manière très maline. Un site web reprend la totalité du territoire régional, avec une couleur et un petit nom pour chaque ligne TER. En supplément, un thermomètre de ligne permet pour chacune d’entre elles de décliner les points d’intérêt présents à moins de 40 min à pied de la gare. C’est donc ici une mise tourisme à grande échelle, exhaustive (elle concerne toutes les lignes), mais aussi associée à un tarif spécifique créé pour l’occasion. C’est une démarche très ambitieuse, mais qui de par sa volonté d’exhaustivité, a parfois du mal à trouver une réalité sur le terrain. Faire le tour de tous les territoires pour leur expliquer le concept, en intégrant l’écosystème transport et tourisme est long est fastidieux. A noter que le CRT a récemment ajouté l’autocar au dispositif, ce qui est une idée plus que bienvenue.

A Annecy, un réseau « ré-orienté »

Annecy attire. Ses alentours aussi. Mais encore trop en mode voiture ! Alors l’autorité de transports déploie des offres spécifiques pour la haute saison, à l’image par exemple des « lignes montagnes ». Elle tente également de ré-orienter les touristes vers des alternatives, qui, il faut l’avouer, sont nombreuses. Rien d’inédit la dedans ? Et bien détrompez vous. La destination (haute) savoyarde mise avant tout sur une communication très bien ficelée pour faire de la pédagogie auprès des touristes. Dès le site internet – qui s’appelle sobrement « Mobilités », elle oriente vers une rubrique « découvrir le territoire », ensuite déclinée selon le lieu que l’on souhaite visiter, de manière simple mais très efficace. Ensuite, tout est produit avec une logique de contenu éditorialisé, sous pesé, pensé pour les touristes, ce qui est rare dans le monde du transport. Puis des plans spécifiques permettent de comprendre chaque secteur, chaque offre (chapeau à Latitude Cartagène !). Certains intègrent des pictogrammes « randonnées » lorsque ces dernières sont présentes au départ des points d’arrêts du réseau. Simple, mais qui le fait ailleurs ? Un guide spécifique a aussi été créé, et édité dans la même dynamique que le site web. Il existe en version Mobil’été mais aussi Mobil’Hiver. Et puis il y a aussi, pour accompagner le tout, la gratuité des transports proposée en été. Annecy joue donc sur plusieurs tableaux : elle modifie (un peu) son offre, mais surtout, elle communique de manière orientée, en considérant son public de touristes comme une cible à part entière.

En Suisse : le voyage est aussi la destination 

Il fallait bien en parler… Par ce que nos voisins helvètes sont incontestablement les rois de la mobilité pour les touristes. Je vous encourage à lire mon papier, particulièrement détaillé sur le sujet, ou encore à vous renseigner sur ma Masterclass spécifique sur le sujet, disponible ici. Le kiffe des Suisses c’est particulièrement le train. Je ne citerai que deux initiatives qui montrent en quoi il est possible d’utiliser le ce dernier comme un vrai vecteur touristique. Le Grand Train Tour d’un coté. Là c’est carrément la création d’un circuit complet, intégrant tout ce que le pays fait de meilleur en termes de trains touristiques et/ou panoramiques : Bernina Express, Gotthard Panorama Express, Glacier Express etc… Le voyage est ici la destination : on déjeune ou on dine à bord, en mode étoilé, on ne loupe rien des paysages grâce à des wagons panoramiques, on reçoit des contenus touristiques sur son téléphone géolocalisé, et on peut même associer l’hotel au train rendre le trip totalement dingue. Le Grand Train Tour est un produit, markété par Swiss Travel System, mais c’est un peu la Rolls dans le domaine. En parallèle, il est aussi tout à fait possible de parcourir le pays en utilisant certains tronçons ferroviaires dont le trajet est juste époustouflant, et dont l’opérateur a doté certains services de trains panoramiques. On est donc là typiquement dans une mise en tourisme qui ce coup ci se base exclusivement sur le matériel roulant. Et c’est très impactant. Evidemment, ce choix d’exploitation n’est pas possible partout, et les dits wagons ne sont pas disponibles partout non plus, mais c’est bluffant.

La communauté autonome du pays basque a aussi lancé son Grand Tour… mais dommage, point de transports publics mis en avant ! Dommage, voire même curieux quand on connait la densité et la qualité de l’offre TC de ce territoire. AO si vous m’entendez!

Des exemples, il en existe beaucoup d’autres. J’aurai pu parler de l’utilisation de l’offre de Ferries de #Ruter à Oslo, qui draine un public de touristes assez dingue pour relier les différentes iles. De l’application qu’avait lancé il y a quelques années la RATP pour visiter tout Paris en transports publics (supprimée depuis). De #cpasloinentrain, qui tente de rapprocher les gares des POI franciliens… Bref, il en existe beaucoup. Tous ces exemples tendent à prouver une chose : il est parfois possible, voire même souhaitable, d’éviter de se lancer dans la création d’offres spécifiques pour les touristes, et de considérer le potentiel de l’offre de transport collectif existante pour ces derniers.

Attention, cela n’est pas si simple qu’il n’y paraît. Se contenter de travailler uniquement le marketing ne suffit pas. Faire une simple cartographie non plus. Vouloir « tout mettre dans la boîte » dans une démarche top-down est aussi illusoire. La réalité c’est qu’il s’agit de travailler avec l’ensemble de l’écosystème de la ligne ou du réseau que l’on souhaite mettre en tourisme : celui du tourisme (CRT, CDT, ADT, OT, privés…) mais aussi celui du transport (AOM, opérateurs…). Il s’agit aussi de s’adapter aux territoires concernés : certains ne veulent surtout pas des touristes dans les offres existantes, déjà saturées : il s’agit alors de privilégier les heures creuses, les lignes moins fréquentées, ou pourquoi pas, ça n’est pas interdit, de créer des offres spécifiques. D’autres considèrent au contraire que c’est une manière de remplir les bus. Mais là encore, ça n’est pas magique. Par ailleurs, il s’agit aussi de toujours avancer sur deux champs de bataille en parallèle : le digital, mais aussi le physique. Par exemple, sans réalité en gare, un « Grand Train Tour » fonctionnera beaucoup moins bien ! Il s’agit enfin de réfléchir en termes économiques : quel est le potentiel de recettes liées aux touristes (un public qui achète des titres unitaires, et optimise le R/D des opérateurs), est-ce que le monde du tourisme peut aussi financer le transport, lorsque celui ci ne déplace pas que des habitants… 

Finalement, au delà de ces quelques exemples, il y a une illustration parfaite et systémique de la dynamique que j’évoque dans ce papier : les #JO2024 de Paris. L’organisation des JO a démontré quelque chose d’essentiel : lorsque l’on bénéficie d’un bon réseau de TC, et que l’on informe correctement les touristes sur les POI, alors tout fonctionne très bien. Les JO ont permis de comprendre quelques ingrédients d’une bonne mise en tourisme des TC : cela implique une excellente information digitale (j’ai interviewé le chef de projet d’IDFM cette semaine, je vous en parlerai prochainement). Cela implique également un travail très soigné sur la signalétique. Comme l’évoque le consultant Jean Pinard dans un post publié sur Linkedin, « Connecter des stations de métros à des sites olympiques, normal direz vous, mais il fallait le faire. Mais si ça marche pour les JO, pourquoi ça ne marcherait pas toute l’année, et de connecter des stations de métro à des sites touristiques et culturels ». Très juste. Cela nécessite un travail avec l’ensemble de l’écosystème, et donc l’ensemble des acteurs de la chaîne. Et puis il y a bien sur le facteur humain, et pour les JO, ce furent les très nombreux bénévoles qui ont fait le faff sur le terrain. Au final, ce fut une réussite… malgré un ticket unitaire largement augmenté pour l’occasion ! Comme quoi !

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