Pays-Bas : vélo+train, peut-on vraiment copier le OV-Fiets ?

OV-Fiets… dans la tête de tous les experts vélo et intermodalité, ces quelques lettres sonnent comme le graal, le système vélo+train absolu, le dispositif qu’il faut absolument montrer aux élu.e.s. Et c’est assez logique. Parce qu’aux Pays-Bas, OV-Fiets, c’est plus de 22 000 vélos, disponibles dans presque 300 gares, plus de 5.5 millions de locations en 2022, 35 millions cumulées depuis le début de l’aventure et un pilotage qui rend le dispositif profitable pour son gestionnaire ! Alors évidemment tout le monde veut copier OV-Fiets. Mais est-ce réaliste ? Pas si simple… Mais après plus de deux ans d’échanges réguliers avec le créateur, les product owner, ou les cheffes de projets de NS Stations, et en expliquant les différentes évolutions du dispositif depuis sa création jusqu’à aujourd’hui, je peux vous aider à vous faire une idée. 

Le vélo le plus intermodal du monde

En Octobre 2021, lorsque dans le cadre de Mobility Explorer, j’avais la chance d’interviewer Rebecca Van Der Horst (qui gère l’intermodalité chez NS Stations) et Ronald Haverman (le penseur du dispositif), j’écrivais sans retenue que OV-Fiets était le vélo le plus intermodal du monde (je le pense encore), et j’en expliquais l’historique. 

Ronald Haverman faisait partie de Pro Rail (l’équivalent de SNCF-Réseau) il y a plus de 20 ans lorsqu’il a imaginé ce qui est aujourd’hui devenu OV-Fiets. Son idée ? pouvoir faire du “door-to-door” grâce à un vélo disponible en moins d’une minute, et ce dans toutes les gares du pays. Après avoir obtenu le feu vert de son CEO de l’époque, il a ensuite du franchir de nombreuses étapes pour faire du vélo jaune et bleu ce qu’il est aujourd’hui. Mais revenons au fond… Pour concevoir son dispositif, Ronald a notamment fait appel à l’incroyable inventeur Luud Schimmelpennink. Résultat : un vélo robuste, dénué de toute technologie, mais incroyablement efficace. Pour accéder au vélo, il avait déjà réfléchi aux prémisses de l’OV-Chipkaart, même si celle-ci n’existait pas encore au lancement du dispositif. Enfin, côté modèle économique, l’idée était relativement basique : “un coût peu élevé, mais en contrepartie, des volumes importants”. Le tout devait être “marketé” autour de deux objets : le vélo et la carte (d’accès).

Côté théorie, on a bien compris que la simplicité et la facilité d’usage étaient la base de la recette, mais à quoi ressemble le produit fini ? OV Fiets c’est avant tout un vélo… Une bicyclette très loin des smart bike(s) qui font la une des magazines. Il est ni électrique, ni même doté de poignées de freins (on utilise le rétropédalage), encore moins de sélecteur de vitesses… ne parlons même pas d’un afficheur Led !

Il est simple, mais il est partout : on le trouve ainsi dans près de 300 gares et stations intermodales dans tout le pays… Disponible au plus près des quais, bien souvent mutualisé avec le stationnement sécurisé, très visible, toujours en volume suffisament adapté à la demande. Dans les gares les plus importantes, OV-Fiets est un dispositif humanisé, et bien souvent couplé aux ateliers / magasins OV-Fiets & Service, un service particulièrement apprécié par les néerlandais.

Il existe ensuite des dispositifs adaptés aux petites gares, qui permettent une utilisation autonome, sécurisée et proposée au même tarif que dans les grandes gares. 

Et pour louer ? c’est simple. Il suffit de vivre aux Pays Bas, de disposer d’une carte OV-Chipkaart personnelle et de s’être enregistré, une fois pour toutes ! Ensuite, le processus de drop-on / drop-off diffère selon la taille des gares, et la présence humaine ou pas, mais reste globalement aisé. Côté tarification, c’est simple, c’est le même coût partout (un peu plus de 4€ par jour). Et non, il n’existe pas d’abonnement.

Ca c’est pour la partie visible de l’iceberg. En back office, quelques ingrédients à retenir : 

  • le vélo est simple, peu couteux (environ 200€ à ses débuts) donc facile à entretenir, et demande peu de maintenance, 
  • l’offre est pilotée par NS Stations : OV-Fiets est le second pivot de la stratégie NS Stations, après le stationnement en gare, 
  • les gares sont la plaque tournante pour les vélos, meilleurs alliés de l’intermodalité,
  • OV-Fiets offre une rentabilité à l’opérateur NS Stations,
  • l’utilisation exclusive de la OV-Chipkaart permet un suivi des usages. 

Cette simplicité (ou cette efficacité) porte ses fruits : le nombre de vélos loués est passé de 850 000 en 2010, à 5 millions en 2018. En parallèle, la flotte a augmenté, mais dans une moindre mesure. 

Lorsque je rencontrais les expert.e.s de OV-Fiets en octobre 2021, le succès de l’offre semblait faire consensus. Mais malgré tout, il planait des envies d’aller plus loin… et ce pour plusieurs raisons. 

D’une part, malgré les 5 millions d’utilisations par an, et la flotte gigantesque, OV-Fiets ne représente qu’une faible part des déplacements, notamment au départ des gares. Il réserve donc un potentiel encore énorme. Certains l’imaginent notamment – sous réserve de le faire évoluer – comme une des réponses à la problématique des parkings, de plus en plus dépassés par leur succès. D’autre part, certains, comme Ronald, le créateur du dispositif, ont quelques idées dans leur besace, et croient beaucoup à l’hybridation de ce système désormais “mainstream” avec les nouvelles solutions partagées qui se déploient aussi aux Pays Bas. Enfin, il est évident que la montée en puissance des vélos électriques, y compris aux Pays-Bas, posait de nombreuses questions à celles et ceux qui pensent le OV-Fiets de demain. 

Mais la partie n’était pas gagnée. Parce que faire évoluer OV-Fiets est risqué : c’est un produit devenu star. C’est aussi un dispositif associé à une formule “qui rapporte” à NS Stations. 

La transition vers le monde moderne 

Presque un an après mon exploration, j’avais la chance de m’entretenir avec Marise Bezema, qui est la responsable des services en gare chez NS-Stations. Lors de mon interview, j’apprenais que certains verrous concernant l’évolution de OV-Fiets étaient finalement en passe de sauter ! 

Premier verrou, celui de l’accès humanisé. En effet, jusqu’à présent, la plupart des OV-Fiets étaient disponibles dans des grandes gares, et mis à disposition par du personnel. Des dispositifs spécifiques (casiers autonomes et boîtes à clés) étaient quant à eux disponibles dans les petites gares. Mais cette situation avait vocation à évoluer ! 

En effet, Marise m’indiquait que NS Stations testait un dispositif permettant de verrouiller et déverrouiller les OV-Fiets automatiquement. Ce dernier s’appelle E-Lock. En réalité, c’est un boîtier présent sur les vélos, qui verrouille/déverrouille le cadenas via un simple passage sans contact de la OV-Chipkaart.

Le product owner m’en avait déjà parlé en 2021, mais là, Marise m’indiquait que l’objectif de NS Stations à terme d’équiper la totalité de la flotte, à raison d’environ 2 gares par mois. L’objectif ? garantir la facilité d’utilisation du vélo “star”, tout en optimisant sa gestion en back office. Évidemment, le gestionnaire de gare me confirmait avoir énormément insisté sur le design de service, sur l’information auprès de son public (directement sur les vélos, via des QR Code, des affiches en gare…). J’avoue avoir été un peu étonné par cette évolution, pour une raison simple : un des succès des services en gare aux Pays-Bas, c’est la présence humaine. Marise Bezema me rassurait, indiquant que l’idée était plutôt de concentrer le personnel sur l’information et non pas le verrouillage-déverrouillage des vélos. Une fonction humaine de support et de renseignement. L’idée était aussi, à terme, de supprimer les anciens systèmes de “box”, pas des plus pratiques, et souvent différents en fonction des gares desservies. 

Second verrou (lié au e-lock) : la digitalisation de l’offre. NS Stations annonçait alors intégrer à l’application NS une fonction qui permettrait de savoir si le vélo était verrouillé ou tout simplement si le processus de location était finalisé. C’est une évolution importante, car cela permet d’accompagner l’automatisation des OV-Fiets via le e-Lock. C’est donc une manière de sécuriser les utilisateurs dans ces nouveaux processus. Par ailleurs, NS Stations intégrait aussi une fonction “Unhappy Flow”, afin de faire remonter depuis l’application un dysfonctionnement dans la location, sur le vélo, ou encore un vélo volé. L’idée était aussi d’améliorer le reporting des utilisateurs.

Troisième levier et pas des moindres, le vélo en lui-même. NS Stations démarrait alors à peine une expérimentation pour tester la location de OV-Fiets électriques. Un début avec quatre gares, à l’été 2022, pour un an. Dans chacune d’entre elles, 30 vélos, soit 120 au total. Des gares de petite taille, ou de taille intermédiaire, avec un objectif : pouvoir avec le e-OV-Fiets couvrir des distances plus longues que les modèles musculaires. Par conséquent, des expérimentations dans des zones peu denses, moins pourvues en transports publics. Une occasion également de contractualiser avec un nouveau constructeur de vélos. A terme, si le pilote était concluant, l’idée était de déployer ces e-bikes dans 25 gares environ. 

Enfin, du côté musculaire, NS Stations devait lancer un appel d’offre européen pour la quatrième génération de OV-Fiets, tout en continuant à améliorer le recyclage de la génération actuelle. 

L’envie de rester en haut de l’affiche 

C’est très important pour moi de continuer à suivre les sujets sur lesquels je travaille, années après années. C’est pourquoi je retournais en Juin 2023 aux Pays-Bas, non seulement pour affiner ma connaissance de l’intermodalité vélo+train dans les petites gares, mais aussi évidemment pour prendre des nouvelles de OV-Fiets. Autour d’un café avec ma camarade Rebecca Van Der Horst (NS Stations), j’apprenais que la plupart des grandes bascules opérées du côté de OV-Fiets se confirmaient. 

Du côté du e-OV-Fiets, après plusieurs mois de pilotes, les retours ont été plutôt positifs. L’intérêt de ces vélos, par rapport aux classiques, est la quantité de données qu’ils génèrent ! Parfait pour confirmer que les distances parcourues ont été plus importantes que sur la version musculaire : environ 30 km par location pour ceux utilisés à la gare de Driebergen-Zeist, faisant partie du pilote. Dans cette même gare, la version électrique était louée plus d’une vingtaine de fois par semaine au début du pilote.

Je me suis rendu sur place pour tester le vélo ! Côté prix, c’est 10€ la journée (contre un peu plus de 4€ pour un musculaire). Les vélos étaient bien visibles dès l’entrée du parking NS Stations. Et quels vélos ! Des Noord (marque néerlandaise), plutôt super costauds, dotés de freins à disque avec ABS, d’un moteur-pédalier Shimano avec calculateur intelligent etc…  Le tout pour une autonomie de 50 et 100 bornes selon l’humeur ! (A noter que c’est NS Stations qui charge le vélo, avec 100 % d’énergie verte). Bref, ce e-OV-Fiets, c’est un peu la Rolls du vélo en location.

D’ailleurs, la caution est de presque 1800 €, pour un vélo dont la valeur friserait les 3500 € ! Pour le moment cantonné aux gares de Arnhem, Groningen, Maastricht et Driebergen-Zeist, il faudra suivre de près si le déploiement devient plus massif. Selon Rebecca, le modèle électrique sera plutôt un “addon”. 

Du côté du e-lock, les avancées sont plus rapides. En 2024, la totalité des plus de 20 000 vélos pourraient être équipées, plus de 30% l’étaient déjà cet été, avec un rythme d’environ 1500 nouvelles chaque mois. La bascule rencontre évidemment son lot de problèmes, puisque selon la presse, environ 1% des locations connaissent des difficultés de verrouillage au moment de rendre le vélo… Comme quoi, nul n’est parfait !

Mais la généralisation du e-lock avance tout de même à bon train, car comme déjà évoqué, c’est aussi une aubaine pour harmoniser les systèmes de retrait/dépose des OV-Fiets… Il y en avait pas moins de 5 différents, dont des casiers individuels ou boîtes à clés rencontrés dans les stations non humanisées, qui coûtaient cher tout en étant peu pratiques. 

De pilotes en expérimentations, désormais, les décisions sont prises : les plus de 170 points de distribution non humanisés seront équipés de “OV-Fietszones”, très reconnaissables, et utilisables comme des dropzones de free floating. Dans 100 petites gares, la zone sera un “abri”, doté d’un cadre reconnaissable par les couleurs bleues et jaunes. Pour les 70 autres, des abris en verre spécifiques OV-Fiets seront déployés. On pourra alors voir facilement s’il y a encore suffisamment de OV-Fiets disponibles. NS Stations envisageait d’équiper 2 à 3 gares par semaine, et lorsque j’étais présent sur place, le travail était effectivement en cours. Là encore, je me suis rendu dans une gare déjà équipée, à savoir Rosmalen, (30 000 habitants) pour observer le dispositif. Verdict : c’est simple, basique, et particulièrement efficace. C’est surtout très bien expliqué, en station et sur les vélos, afin de faciliter l’usage. 

Entre fantasme et réalité 

OK, il faut reconnaître que tout cela fait un peu rêver. Et puis les derniers chiffres de 5,5 millions de locations réalisées en 2022 sont un argument de plus ! Il faut aussi dire qu’en ayant analysé les Call A Bike (DB), Blue Bike (SNCB) et même BBH (Brompton Bike Hire), pas grand monde n’arrive à la cheville des OV-Fiets, ancienne ou nouvelle génération. Mais c’est aussi parce que le dispositif est difficile à répliquer, et ce pour plusieurs raisons (la liste n’est pas exhaustive) :

Parlons d’abord du vélo en lui même : 

  • Il est très standardisé, facilement interchangeable, dans n’importe quelle gare, à l’échelle nationale, 
  • c’est un vélo très facilement “empilable”. Cela paraît anodin, mais lorsque l’espace est une denrée rare, c’est parfois essentiel,
  • Il est très simple, a été longuement éprouvé : son coût de maintenance est faible,
  • il est musculaire (à 99%) et c’est un point très important. Parce que cela rend son coût d’investissement très faible. A l’inverse de ceux qui voudraient lancer un dispositif similaire aujourd’hui, et seraient presque “obligés” de se tourner vers une flotte à assistance électrique, 
  • Il n’est pas numérique. Il génère donc peu de données, et est assez peu “MaaS compliant” : aujourd’hui, cela serait considéré comme un frein pour un opérateur de VLS par exemple. 

Regardons maintenant le “système”

  • OV-Fiets est opéré par le gestionnaire de gares, NS Stations, en direct, et ce à l’échelle nationale, 
  • OV-Fiets est mutualisé, en ce qui concerne son stationnement (espace), sa maintenance, son accès et son information (personnel) mais aussi son marketing. Lorsqu’il existe un “OV Fiets & Services” sur place, le personnel gère aussi la location du vélo, 
  • Il est accessible via une carte sans contact qui donne accès à l’ensemble des offres de transports publics, partout dans le pays : la OV-Chipkaart. Il y en a 14 millions en circulation (pour 17 millions d’habitants), 
  • OV-Fiets est connu, archi connu, c’est un “totem” aux Pays-Bas, comme la OV-Chipkaart. Les taux de satisfaction sont chaque année très élevés. Il est donc bien plus qu’un simple vélo,

Enfin, observons le rapport au territoire… parce que oui, OV-Fiets est déployé aux Pays-Bas, sur un territoire où : 

  • De très nombreux corridors ferroviaires proposent un train toutes les 10 minutes. L’efficacité du réseau ferroviaire est évidemment un des premiers déclencheurs d’intermodalité avec le vélo, 
  • Le réseau ferroviaire ne compte “que” 400 gares, soit à peine plus que la Nouvelle Aquitaine en France, 
  • Environ 50% des voyageurs qui montent dans un train arrivent en vélo en gare, et environ 15% sortent d’une gare à vélo, 
  • Il y a très peu de systèmes de vélos en libre service déployés dans les villes néerlandaises. 

Soyons réalistes : OV-Fiets est impossible à copier, et ce pour de nombreuses raisons, donc certaines évoquées ici. Ce dispositif a son historique, colle aux attentes d’un peuple lié à un usage fort du vélo et à un réseau ferroviaire très spécifique. Il a aussi été imaginé et lancé à une époque ou le vélo n’était ni numérique ni assisté électriquement, et où le MaaS n’existait pas ! Néanmoins, s’il y avait un élément à retenir, et qui m’a personnellement toujours marqué, c’est à quel point OV-Fiets fait système avec la(les) gare(s). Poussé par NS Stations, il est un service, au même titre que le stationnement et tous deux sont très bien markétés et particulièrement mis en avant par l’opérateur. Pour le dire autrement, OV-Fiets est OMNIprésent dans l’écosystème de l’intermodalité. 

N’oubliez pas, la [Mobility Explorer] de 2021-2022 réalisée sur l’intermodalité vélo et train est toujours disponible dans sa totalité (étude de 160 pages, documentaire de 56 minutes, conférences) et d’autant plus d’actualité ! 

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