Lime, Bird, Jump… Chaque semaine on parle d’elles. Ces fameuses « trottinettes électriques sans station » (on les appellera « Tess », ça sera plus simple) suscitent le débat et déclenchent à peu près toujours les mêmes réactions. Certains s’extasient devant les levées de fond considérables qu’elles génèrent. D’autres vantent l’incroyable évolution technique que chaque nouveau modèle apporte. Une dernière catégorie exprime sa détestation pour ces nouveaux petits engins dangereux et mangeurs d’espace public. De mon coté, a force de les croiser, et après en avoir essayé quelques-unes dans des lieux bien différents (Paris, Barcelone, Bordeaux, Madrid…) je viens enfin de comprendre a quoi me faisaient penser ces petites bestioles. Elles représentent à mes yeux le paracetamol de la mobilité : elles soignent de manière rapide mais peu pérenne quelques uns des maux de nos métropoles.
C’est facile et rapide… C’est vrai, lorsque vous avez mal au crâne, ou une douleur peu intense, vous avez facilement recours au paracetamol. « Donnez moi du doliprane » dites vous à votre pharmacien. C’est facile, simple à avaler, et ça ne coute presque rien. C’est exactement pareil pour les Tess. Elles sont disponibles partout, juste devant vous sur le trottoir, et sont faciles à débloquer puis à utiliser. Conséquence ? n’importe qui peut les utiliser… Mais surtout, n’importe comment, car comme pour le paracetamol, vous les utiliserez sans ordonnance ! Tout benef’ pour les laboratoires pharmaceutiques d’un coté, pour les « startup » américaines et chinoises de l’autre ! Dans les deux cas, on parle bien souvent de milliards de $ ! Alors oui, ça fait tourner la tête, mais ça reste une vision très quantitative des choses, parce que dans la réalité…
Testez par vous même… Sincèrement, l’expérience est plutôt cruelle : l’accélération est poussive et peu progressive, le freinage plus que douteux, la direction aléatoire. Evitez également les pavés (très présents dans de nombreuses villes) et surtout, si vous souhaitez éviter une bonne gaufre, point de sols humides. J’ai eu l’occasion de traverser des rues mouillées (après le fameux seau d’eau du matin pour nettoyer la devanture de la boutique !!!) et je vous confirme qu’en plus de glisser au freinage, ça patine à l’accélération ! Evidemment, certains évoqueront la formidable et incroyable évolution des différents modèles sur le marché, et le fait que chaque firme propose une innovation qui correspond plus ou moins à votre profil… C’est vrai, tout comme vous pouvez aussi prendre un paracetamol 500, 1000 ou 2000 selon votre douleur. Cela veut-il dire qu’il faut inonder le marché, détraquer des milliers de foies avant de trouver « le bon remède » ? Parce qu’à la base, l’idée est bien de trouver un remède non ?
Mais au fait, d’ou vient la douleur ? Bien souvent, à force de prendre du paracetamol, à la volée, sans ordonnance, on en oublie notre degré de douleur et parfois quelle était la douleur elle même. Il en va de même pour les Tess. Répondent-elles à un besoin de très courte mobilité ? A ce moment là, pourquoi ne pas marcher, tout simplement ? A des déplacements de 4 à 5 km ? Vu leur niveau de confort, vous seriez certainement mieux sur un vélo, d’autant plus qu’en général, là ou les Tess sont présentes, c’est à dire dans les grandes métropoles, des VLS sont aussi disponibles. Ne répondraient-elles pas plutôt à un besoin de liberté et de facilité ? C’est surement là le coeur du problème. On passera le couplet sur le trop long déploiement de pistes cyclables pour favoriser la pratique des mobilités actives. De toutes les manières, les Tess ne répondent pas du tout à cette question, bien au contraire, elles prouvent si besoin était l’urgence d’avancer plus vite sur le sujet. Focalisons plutôt notre regard sur le stationnement, car c’est en réalité là le coeur du problème. Que ce soit avec des systèmes souples, des box sécurisés, ou même finalement avec des stations de vélos en libre service (qui sont si on y réfléchit bien une manière de stationner des vélos, quand bien même ça ne sont pas les nôtres)… c’est là le vrai manque de nos métropoles. Le vrai manque qui dissuade encore de très nombreuses personnes d’utiliser le vélo. Le vrai manque qui a permis à quelques startups créées par des bonhommes plutôt malins de s’engouffrer dans la brèche. Mais ne vous y trompez pas, ces nouveaux modes peu confortables qui sont venus inonder les rues répondent faussement à cette question : ils sont un palliatif courtermiste au problème de fond.
Attention, effets indésirables ! Un palliatif qui chamboule tout sur son passage. Amusez vous à lire la notice du Paracetamol et ses effets indésirables. Vous allez rapidement arrêter d’en prendre pour une toute petite migraine. Coté Tess, pas besoin de vous faire un dessin : canibalisation des parts modales piétonnes, occupation hirsute de l’espace public, obsolescence des engins et effets induis, vandalisme… Mais surtout, n’oubliez pas que ce mode n’est en aucun cas à classer dans les « mobilités actives », donc même pas bénéfique pour votre santé.
Votre maladie n’est pas incurable ! Managers publics, ces nouvelles solutions (celles-la et les prochaines! ) masquent des problèmes d’urbanisme importants. Ainsi, vous avez désormais deux solutions : la première consiste à faire confiance au paracetamol à chaque fois que la ville a mal au vélo. La seconde consiste prendre soin de ce dernier, en lui offrant un vrai « parcours de soins », sur le long terme, et en investissant massivement. Bien évidement, trop de régulation peut priver vos concitoyens de nouvelles formes de déplacements, qui pourraient leurs éviter de prendre leur voiture. C’est vrai. Mais trop de laxisme pourrait aussi rendre nos villes totalement impraticables sans résoudre votre vrai défi : proposer une véritable offre de stationnement (en plus de pistes cyclables) aux utilisateurs du vélo, pour décupler sa pratique. Pendant des années vous avez accepté la construction d’énormes parkings pour les voitures. Il est temps de changer de focale. Ce sont désormais les cyclistes qui doivent pouvoir laisser leur vélo ou ils le souhaitent, dans des conditions optimales. C’est peut être ça le message le plus positif que souhaitaient vous faire parvenir ces petites bestioles de toutes les couleurs que vous voyez sur les trottoirs de vos villes. Finalement, elles ne sont peut être que des messagers éphémères.
De mon coté, je continue à croire en l’innovation plus que jamais. Je crois sincèrement que l’arrivée de ces bestioles électriques nous aide tous à nous poser de vraies questions sur les mobilités douces, sur l’intermodalité, sur l’urbanisme tactique, sur la plateformisation des offres de transports. Néanmoins, je reste persuadé qu’elles sont comme le paracetamol : en prendre trop pourrait avoir des effets néfastes sur le transit !